Les scandales ne sont pas que politico-financiers et les responsables ne sont pas toujours là où on les cherche. Des vertus discrètes des comportements corrompus, le pays en offre une galerie à ciel ouvert. Tout est foulé aux pieds là où rien qui ne soit pas codifié, même de façon tacite, n’est pas vie. Ça se voit, ça se revoit. Il se sent, il s’entend. Chacun le subit et en porte la marque mais reste calme. Préférant vivre comme tout le monde. Sauf secoué par des sirènes de la mort, une chorale de pleureurs, un ballet indécent de politiciens, une nuée de « sachant » et autres diseurs de panacée. Toujours la même. Toujours, les mêmes. Alors…
Comme jamais auparavant... Ils ressassent des problèmes. Surpris de voir à quel point ils se laissent aller avec une bonne conscience de gens qui ne s’écoutent pas et n’écoutent personne, mais convaincus que rien ne leur échappe. Ils sont en paix avec la fatalité quoi qu’il arrive. Même dans le tort qu’il se cause, le préjudice à autrui. Un repentir ? À quoi bon... Ce qui est et ses conséquences seront encore comme hier et avant-hier il avait été. Au bonheur de désobéir, des malheurs de vivre. Des drames à n’en plus finir, des sanctions en pleurs. Ils rappellent, ils appellent, ils accusent, ils menacent... Rien qui conjure. Un risque toujours encouru avec cette défiance continue. Tout le monde s’en fout de tout et nul n’est responsable. Contrairement à la parole divine : « Que celui qui trouve le bien adresse ses louanges à Dieu, mais que celui qui trouve autre chose ne s’en prenne qu’à lui-même. »
Face à une survivance de valeurs et autres éthiques ceddo mal comprises, des règles de prévention et de sécurité, un respect de soi-même et des autres sont bafoués de façon continue. Dans une croisade contre l’obligation du port de la ceinture de sécurité, par exemple, un grand responsable d’alors, modèle de probité, disait : « Lànk leen, as gor deesuko yeew (refuser, jamais un noble ne se laisse attacher). » Au pathétique, s’ajoute une polémique d’hommes et de femmes incapables de surmonter des querelles l’instant d’un deuil qui frappent un pays. Chacun fredonnant sa chanson du mal aimé... en flânant sur des quais de ces gares où on embarque pour un voyage au bout du désordre.
Aussi, avec l’excuse de la guigne qu’on trouve à l’autre... Personne qui s’étonne de ses manies. Chacun continuant de scander, peut-être sans en être convaincu, « jëf day fey boroom ! » Oui, cette récolte, promesse des fleurs, est, sans nulle doute, ce qui avait été semé.
Retour à une case départ
Kaffrine, Sikilo ou Ngiby… est un retour à une case départ. Là où une mystification s’accomplit comme un devoir religieux. Faute d’un miroir qui renvoie des regards fumistes. Une paille dans l’œil de l’un qui masque une poutre dans l’œil de l’autre. Un index qui accuse et ne se pointe que soutenu par un pouce qui vous renvoie à votre part de responsabilité. Deux doigts de cette même main de cet individu qui gambade et folâtre. Une désinvolture toujours plus grande qu’elle ne froisse plus. Ainsi ce pays vit-il sa peine. Une peine d’une vie de douleur et de chagrin feints. Dans un théâtre où des rideaux tombent continuellement mais seuls des actes politico-médiatiques passionnent. Seulement, l’indécence, l’indignité, le ridicule de celui que sa raison ne dissuade plus est dans l’intercession. Ce bouclier protecteur de tous ces preux de la défiance et de la désobéissance. Un guide religieux avait fait la leçon à une délégation de l’opposition venue quérir son intervention pour une libération de leaders politiques emprisonnés. « Kilifa day moytu lu nu koy mbaayàllal (un responsable doit se garder d’actes devant lui valoir une intercession) », leur disait-il.
Dans un monde d’exigences et de doléances, dans un jeu où le meilleur est de susciter l’inconfort, comment créer une certaine conscience ? Que l’autre soit tenu pour quitte et que le pays, face à lui-même, se découvre tel qu’il est. Arrête de jouer et de rejouer les mêmes matches. Des grands-parents aux enfants de la balle, on se mord sa queue. Un angle sous lequel on refuse de voir des choses pour ne jamais sortir des agitations politiciennes et des clivages qui s’accentuent toujours plus et de pire en pire. Tout allait bien, tout ira mieux disent-ils des choses qui ne tardent jamais de se gâter. Sous des pleurs, des rires sous cape. Aux éclats des maux, l’éclat de mots désemparés qui, jamais, ne rassérènent. En effet, une supercherie gangrène le pays.
Assane SAADA
16 janvier 2023