En ce mois béni de ramadan, tous les moyens sont bons pour bénéficier des largesses du Créateur suprême. En plus des prières et des aumônes, certains ont même changé de sonnerie de téléphone. Les chants religieuses sont à la mode.
Bon nombre de Sénégalais ont changé la sonnerie de leur téléphone portable en ce mois béni de ramadan. Comme quoi à chaque événement sa tendance. Abdoulaye Fall Fam est élève en classe de troisième au Cem de Mbao. Conscient que les bonnes actions sont multipliées en cette période de dévotion et de prières, l’adolescent veut en profiter. La première chose qu’il a faite dès que le croissant lunaire a été aperçu, c’est de changer la sonnerie de son téléphone portable. « Thanks you Allah » de Wally Seck est sa nouvelle sonnerie. En sus, il a téléchargé plusieurs versets du Coran qu’il dit lire dans la journée.
En cette matinée un peu ensoleillée à Keur Mbaye Fall, la population vaque déjà à ses occupations. Chacun presse le pas. Mais traverser la route pour rejoindre l’arrêt de bus s’avère difficile puisque les automobilistes ne cèdent pas le passage. Assome Daffé, vendeuse, achalande sur sa table des variétés de poissons : sardines, dorades, barracuda… Le son « Ramadan » de Maher Zain est sa nouvelle sonnerie. De taille élancée, ses petits yeux mis en exergue par de faux cils, le teint dépigmenté, elle explique : « Je ne résiste pas aux sons de Mbalax. C’est pourquoi j’ai changé la sonnerie de mon téléphone pour m’adapter à la ferveur du ramadan et éviter d’esquisser des pas de danse ». Sa voisine, Fatou Sarr, vendeuse de « nanas » et d’oseilles rouges, est du lot de ceux qui suivent la mode. Pour elle, le ramadan, c’est juste un mois. Il faut, à son avis, en profiter pour bénéficier au maximum des Grâces de Dieu. Elle ne s’est pas seulement contentée de télécharger des chansons religieuses mais aussi elle a supprimé tout ce qui est mbalax dans son fichier audio. « Quand il y a promotion chez les opérateurs téléphoniques, on en profite non ? Le mois de Ramadan est aussi un moment de bienfaits et de promo, alors il faut en profiter », justifie-t-elle avec insistance.
Trouvé au Centre-ville, habillé en tenue traditionnelle demi-saison de couleur marron blanc, un petit bonnet couvrant légèrement le chef, Sylla Fall est vendeur de dattes. Il fait partie de ceux qui ont changé aussi de sonnerie de téléphone. Il opte pour la chanson de « Baye Karim » de Ndiogou Afia, « parce que le message est fort et poignant ». Issa Diouf Sarr, étudiant, tranquillement assis à l’arrêt de Bus Dakar Dem Dikk, les jambes croisées, le masque couvrant bien son nez et sa bouche, les yeux rivés sur un bouquin de Littérature africaine, « La porte du voyage sans retour » de David Diop, donne son avis. Il rappelle que le fait d’écouter de la musique en période de ramadan est déconseillé. Il a changé les sonneries de ses deux téléphones portables. Et, chaque vendredi, il change de sonnerie. Actuellement, il a choisi les sonneries « Ramadan » et « Mbaye dane nga » de Aboubakry Samb, ou encore « Massalikoul » du Thiantacoune Mouhammed Niang.
Aly Bathily, Directeur général de la Sodav
« Plus il y a de téléchargements, plus il y aura de droits »
Avez-vous noté une hausse du nombre de téléchargements de sons religieux en cette période de Ramadan ?
Effectivement, ce qui est constaté actuellement en matière de téléchargement de sonneries et de musiques, c’est que ce sont les répertoires religieux qui prennent le dessus. Et ça, c’est la tendance depuis au moins quelques années déjà. C’est un commerce qui a vraiment favorisé les chanteurs religieux. Et je pense que cela peut découler d’une bonne logique compte tenu du mois de Ramadan avec cette affluence des gens qui tournent vers tout ce qui est religieux. C’est donc normal que le service qui s’occupe des contenus ou bien des valeurs ajoutées au niveau de la Sonatel puisse essayer de suivre la tendance du marché à travers les Dalal tones.
Ces téléchargements relèvent de quel genre de droits et comment se fait la progression ?
C’est des droits d’auteurs. Car, pour les droits voisins, les producteurs prennent directement auprès de l’opérateur via les fournisseurs de contenu parce qu’il y a toute une chaîne d’intermédiaires. Pour ce qui est de la progression des droits, c’est en fonction de l’exploitation. Maintenant, c’est la Sonatel qui peut vérifier, parce qu’en payant cela, c’est elle qui va nous donner les reporting. Et c’est sûr que le répertoire religieux risque dans ce cas-là d’occuper encore la plus grande portion des droits qui seront reversés par la Sonatel. Ce qui peut se comprendre, car c’est la période idéale pour développer ce genre de business. C’est-à-dire accroître le répertoire religieux dans les téléchargements. Et surtout, si on prend en compte cette coïncidence qui existe entre les deux religions, le christianisme et l’islam, dont les périodes de Ramadan et de Carême se chevauchent cette année. Parce que les gens oublient qu’il y a aussi de la musique religieuse catholique dans certains téléchargements. Et quelque fois ils en bénéficient, même si ce n’est pas au même niveau que le répertoire religieux issu des différentes confréries musulmanes.
A combien peut-on chiffrer les droits d’auteur des artistes dont les répertoires sont utilisés durant la période du Ramadan ?
Si normalement le niveau de téléchargement augmente, forcément les droits augmenteront. Mais vous savez, la Sonatel ne paie pas par mois, mais par trimestre. Peut-être qu’à la fin de ce trimestre, on saura ce qu’il en est au niveau des droits. Pour le montant, on ne peut pas le présager d’office, car cela varie. Il peut y avoir aussi des périodes où les téléchargements baissent et d’autres où ils augmentent. Donc, les droits suivent aussi cette courbe. Mais plus il y a de téléchargements, plus il y aura de droits.
Bouna Manel Fall, ancien Dg de la Sodav
« J’ai eu à payer des droits d’auteur avec 20 millions par bénéficiaire »
Ancien Directeur général de la Société sénégalaise du droit d’auteur et des droits voisins (Sodav), Bouna Manel Fall révèle avoir déjà eu à payer une grosse manne financière à des bénéficiaires de droits sur les dalal tones. Et selon lui, les artistes qui font de la musique religieuse sont ceux qui touchent le plus de droits. « Ces musiques et sons, c’est des droits d’auteur et c’est payé au niveau de la Sodav. Et je peux vous dire que les artistes qui sont les mieux payés en matière de droits d’auteur au Sénégal sont les chanteurs religieux. Parce que les droits numériques, c’est beaucoup d’argent, c’est pourquoi tu ne les entends pas se plaindre, seuls les artistes crient », confie Bouna Manel Fall. « Non seulement c’est la Sonatel qui leur donne un pourcentage et qui est connecté par la société des Droits d’auteur. Mais c’est des montants assez importants. Moi, quand j’étais Directeur de la Sodav, en 2016-2017, j’ai eu à payer des montants extrêmement importants, qui pouvaient aller jusqu’à 20 millions de francs CFA par bénéficiaire. Mais c’est la Sodav qui collecte auprès des opérateurs de télécommunications et qui reverse les montants aux bénéficiaires », renseigne-t-il.
21 avril 2022