En face du stade Demba Diop, une des ruelles mène vers chez Khady Diouf dont la maison s’avère être une fabrique de ‘’thiéré’’. La vendeuse est réputée dans le coin. Ce vendredi après-midi, les plus petits ont transformé la ruelle en terrain de football, causant des misères aux passants. Ces derniers doivent donc faire attention afin de ne pas prendre le ballon en pleine figure.
Cet obstacle dépassé, on découvre une maison au toit en couleur rouge latérite qui se marie avec le carrelage tirant vers le gris en bas. La porte d’entrée franchie, on a deux options : prendre les escaliers à gauche ou frapper à une porte en bois à droite. Celle-ci ouvre sur le salon où deux personnes sont installées, un jeune homme et une vieille dame. Khady Diouf en personne dont le boubou wax cache mal le pull qu’elle porte en dessous. C’est notre interlocutrice au moment où le mois du consommer local bat son plein.
« Ma fille, vas à l’arrière cours et demande Amy. C’est une de mes employées. Elle est instruite et comprendra sans doute ce que tu dis parce que moi je n’y arrive », nous renvoie-t-elle. On se présente donc à la nommée Amy trouvée en train d’allaiter son bébé, en compagnie de deux de ses collègues dont l’une remplit les sachets plastiques déjà ouverts de ‘’thiéré’’ et l’autre lave les grains de mil. Une bonne qualité est mise à sécher dans trois grands bols placés à côté.
« Mais qu’est-ce que je vais te dire ? Tout ce que je sais, c’est elle qui me l’a appris. Il faut insister, elle finira par parler », nous renvoie à son tour Amy.
La seconde tentative sera la bonne. Khady Diouf nous parle enfin de son art. « Ma fille, ce que je peux te dire, c’est que je ne cours plus derrière l’argent, et cela depuis longtemps, entame-t-elle d’une voix trainante. Mon fils qui était en France mais qui se trouve actuellement en Belgique m’interdit de mener cette activité. (Elle désigne une photo encadrée posée dans un des compartiments du buffet de salon représentant deux de ses petits-enfants métis). Je ne manque vraiment de rien. À un moment même, j’avais cessé toute activité. Un médecin venait même me consulter. Mais, l’inactivité me pesait. Mais que faire des clientes ? Certaines viennent me trouver pour passer commande. Elles me supplient même. Je ne peux pas refuser. Ce n’est pas pour me vanter mais je sais que je fais du bon ‘’thiéré’’. Je lavais à plusieurs reprises le mil pour enlever le sable et toute la saleté. J’utilisais beaucoup d’eau. On doit veiller à la qualité de nos produits. C’est très important pour moi. Je l’exige à mes employés. Du fait du poids de l’âge, je ne m’active plus comme avant. Mais, pour faire du thiéré, il faut être patiente. Le processus est lent. Ça commence tôt le matin. Vous voyez les bols remplis de mil, il faudra se rendre au moulin, moyennant 2 500 F CFA, le trajet en taxi, jusqu’à Grand-Dakar, à l’aller comme au retour. Avant de travailler la farine, le tamisage, la cuisson pour obtenir le produit fini. On fait du ‘’thiacry’’, du ‘’arraw’’ et du ‘’thiéré’’. On vend même la farine. Les prix varient entre 100 et 500 F CFA. Cela n’a jamais changé depuis des années alors qu’aujourd’hui le prix du kilo de mil coûte 800 F CFA, à la boutique du coin, contre 400 F CFA, l’an passé. C’est cher. Je n’ai pratiquement pas de bénéfices. Aujourd’hui, je le fais pour rendre service à de fidèles clientes à qui je ne peux rien refuser… »
Elle coupe pour répondre aux salutations de deux ses clientes entrées en même temps : « Wa alaykoum assalam » (Que la Paix soit avec vous de même, en arabe).
La plus jeune qui s’appelle Mariama Mané ne tarit pas d’éloges à l’endroit de mère Khady Diouf. « Une fois, je lui ai dit que je venais acheter du ‘’thiéré’’ pour ma belle-mère. Depuis, elle m’encourage à chaque fois que je viens ici. Elle me conseille de traiter ma belle-mère comme ma propre mère. Elle m’offre toujours des sachets supplémentaires. Je prie pour que vous ayez une longue vie. Vous êtes trop gentille », poursuit la jeune femme voilée venue des Hlm.
Chez mère Khady Diouf, mêmes les journalistes ne ressortent pas les mains vides. Son subalterne nous a remis un sachet vert contenant deux autres sachets remplis de ‘’thiéré’’ et de ‘’thiacry’’.
Pour immortaliser le moment, c’est une autre histoire. Amy et ses collègues ont refusé de se faire photographier : « Il fallait prévenir, vous aussi. On travaille depuis le matin. On ne peut pas se montrer aussi sales ».
Dié BA
15 janvier 2023