« Cette Cop africaine doit être celle de la mise en œuvre ». C’est l’appel appuyé d’Alioune Ndoye, ministre sénégalais de l’Environnement, du développement durable et de la transition écologique aux décideurs mondiaux devant un parterre d’experts. Certains porteront la voix du Sénégal et du continent lors des négociations sur le climat, du 6 au 18 novembre à Charm El-Cheikh (Égypte). Ce brin d’espoir, affiché le 27 octobre 2022, lors de l’atelier préparatoire de la délégation sénégalaise, est en déphasage avec le désespoir des populations de Bargny. Ces dernières se considèrent comme un cas d’école de « victimes climatiques ». Les années passent, les Cop se succèdent mais restent des échecs d’après elles.
« Nous avons déjà un pied dans la tombe. Là, elles (les industries) veulent encore nous tuer ». Des mots forts et soignés pour extérioriser les maux dont souffre toute une localité. À travers ce discours aux airs macabres, Babacar Seck, conseiller municipal, peint un tableau de Bargny assombri par la présence des « industries polluantes ». Principalement, dans le viseur du président de la commission Environnement de la mairie, le dernier projet décrié en date : l’usine de sidérurgie « Tosyali ». Même posture, même hostilité d’Ibou Diouf.
L’agriculteur est trouvé en train de labourer une surface de terre près de la centrale à charbon. Le visage en sueur, atteint par les rayons de soleil malgré sa casquette pour s’en protéger, ne cache pas sa colère. « Ce projet est une catastrophe », fulmine le sexagénaire. La raison de sa réflexion dépasse les problèmes écologiques. L’homme fait partie des agriculteurs déplacés par un autre projet aussi redouté que contesté : l’installation du port minéralier et vraquier. Il confie que les paysans ont reçu une indemnisation entre 200 000 et 2 000 000 F CFA.
Mais le cultivateur s’empresse de préciser que « rien ne peut remplacer les terres qu’ils ont perdues ». Avant de s’interroger : « Que deviendrons-nous si l’usine de fer s’installe ici ? » La réponse à sa question est sans doute à trouver dans l’étude technique des impacts cumulatifs des industries à la commune de Bargny. Une étude du Réseau des associations pour la protection de l’environnement et de la nature (Rapen) en collaboration avec des organismes qui s’activent dans la justice climatique. Le document final, restitué le 28 septembre 2022, sonne l’alerte. Il indique qu’avec le port minéralier et vraquier « une zone de stockage de 1 446 800 tonnes de charbon, 3 090 000 tonnes de phosphate, 600 000 tonnes de souffre, 500 000 tonnes de clinker devrait voir le jour ». Au regard de ce « cocktail explosif », comment l’État peut prévoir d’implanter à Bargny une Zone économique spéciale (Zes) de 100 hectares, regrette Fadel Wade.
Le regard en direction de la jetée de chargement et débarquement du port minéralier et vraquier longue de 1 485 mètres, le vice-président du Rapen exprime toute son amertume. Loin d’être sur la défensive, au nom de la justice climatique et du droit à un environnement sain, le militant écologique prévient : « Bargny va continuer à contester cette Zes, créée par le décret n° 1318-2019 du 22 août 2019 et cédée sous forme de bail à la société́ Tosyali iron and steel Sénégal SA ». Autant de plaidoyers qu’aimeraient porter certains d’entre eux à l’occasion de la 27e Conférence des Parties sur le climat à Charm El-Cheikh, en Égypte. Une première Cop en terre africaine.
« Bargny à l’agonie à cause de l’érosion côtière »
Lorsque vous débarquez à Bargny et que vous parlez de l’érosion côtière, il y a de fortes chances qu’un doigt vous indique son domicile. Dans cette commune de plus de 70 000 âmes, à une trentaine de kilomètres de Dakar, Ndèye Yacine Dieng enfile une robe d’avocate. Celle de militante des populations touchées par l’avancée de la mer. Le phénomène a dévasté une bonne partie de la maison familiale. Sous son poids, la devanture a cédé depuis fort longtemps. Et sur place, tous les moyens sont mobilisés pour faire face à la furie des vagues. Pour assurer un peu d’intimité : des draps, pneus, briques, bois sont érigés en bouclier.
À côté de l’entrée, en face de la mer, des téléviseurs sont installés sur le perron, près d’un vieux bâtiment. C’est le décor de l’atelier de réparation d’appareils électroménagers d’un de ses fils. Ce dernier a été forcé de quitter son lieu de travail dont le mur a été emporté. « Ce que nous vivons est un drame social », martèle la mère de famille. « À cause de la situation, les gens s’entassent à quatre, six, voire dix dans les chambres », se désole Ndèye Yacine Dieng. « Sans compter les déplacés, regardez la précarité dans laquelle vivent les victimes climatiques », ajoute la transformatrice de produits halieutiques. D’un air désolé, elle demande à l’État du Sénégal et aux pays pollueurs d’arrêter de financer des projets qui accentuent leur vulnérabilité face au changement climatique. Et comme tous les activistes de l’environnement de Bargny, la dame est très à cheval sur la question des pertes et dommages.
« Au total, 144 familles impactées ont été recensées », renseigne le président de la commission Environnement de la mairie. Mais Babacar Seck souligne que cette étude qui date de 2001 de l’équipe municipale précédente, « n’est plus actuelle ». C’est pourquoi, d’après lui, « l’estimation selon laquelle le trait de côte reculerait de 2 à 3 mètres par an pourrait faire d’autres victimes ». Il plaide pour que les études sur les conséquences de l’avancée de la mer à Bargny soient réactualisées.
Charbon stocké à l’air libre et dégagements de fumée
Alors que l’érosion côtière continue de terrasser des maisons, le combat de la population contre la centrale à charbon est toujours d’actualité. Sur ce point, les populations peuvent compter sur l’audit communautaire des impacts de la centrale sur les communautés locales. L’unité construite sur 29 hectares et d’une capacité de 125 MW, peine à fonctionner, à plein régime, depuis sa mise en service en 2018. Mais le charbon stocké à l’air libre et les dégagements de fumée par intermittence suffisent à maintenir la flamme de la contestation. Le vice-président du Rapen justifie ce combat permanant. Fadel Wade repose son argumentaire sur la base de l’article 13 du Code de l’environnement de 2001. « Les installations rangées dans la première classe doivent faire l’objet, avant leur construction ou leur mise en service, d’une autorisation d’exploitation (…). Cette autorisation est obligatoirement subordonnée à leur éloignement, sur un rayon de 500 mètres au moins des habitations, des immeubles habituellement occupés par des tiers, des établissements recevant du public et des zones destinées à l’habitation, d’un cours d’eau, d’un lac, d’une voie de communication, d’un captage d’eau ».
Par Pape Ibrahima NDIAYE et Serigne Saliou DEME (photos)
6 novembre 2022