Grâce à ses prêches captivants, Taib Socé est actuellement la star des prêcheurs. Dans les bus, les taxis, les marchés, les bureaux, son émission « Tafsir 2.0 » sur iTv, qu’il co-anime avec imam Birame Pouye a atteint un pic d’audience rarement égalé. Bès Bi « Le Jour » est allé à la découverte de l’homme à la voix particulière qui ne vit que pour et par le Coran et les préceptes religieux. Son enfance dans le Saloum, ses séjours à l’école coranique, son entrée dans le monde de l’enseignement, des médias et, last but not least, son séjour carcéral. Entretien.
Où avez-vous appris le Coran ?
J’ai appris le Coran à Medina Sabakh auprès de mon père qui était un homme religieux. Puisque je suis son fils cadet et que tous mes grand-frères ont fait l’école française, il voulait que je n’apprenne que la science coranique et qu’après sa mort, je prenne sa relève. C’est pourquoi toutes mes activités, c’est la religion et l’islam. Je me rappelle une année, mon grand frère, Pape Socé, voulait m’inscrire à l’école française, mais je m’y suis opposé, pour suivre les instructions de mon père. Certes je n’étais qu’un enfant, mais j’avais gardé cette phrase dans un coin de ma tête. Ma mère a tout fait pour respecter la volonté de mon défunt père.
Après son décès, elle m’a amené chez son frère, dans un village, c’est là-bas que j’ai fréquenté l’école coranique. Je ne vais jamais oublier mon premier maître coranique, Oustaz Moustapha Seck. Ce dernier a même enseigné le président de la Gambie Adama Barrow. Lorsque j’ai fini, je suis rentré à Keur Madiabel où vit ma mère. J’étais à l’école Cheikh Kébé, où j’ai eu mon Bfem, c’est à Medina Baye que j’ai obtenu mon Bac. C’était pour respecter l’orientation de mon père, ma mère a joué un grand rôle pour que je puisse réussir, elle me surveillait comme du lait sur le feu. A 21h ou 22h, quand j’étais chez des amis, elle venait me chercher. Finalement je lui ai facilité la tâche en restant chez moi et elle me payait du thé avec des amis.
Après l’obtention de vos diplômes, qu’avez-vous fait par la suite ?
Un ami, El Hadji Mbaye Thiam, m’a proposé de venir enseigner à Ngaye Mekhé. J’avais 21 ans. Puisque je ne suis jamais sorti, la famille s’est beaucoup inquiétée. Par la suite, nous sommes partis à Diourbel à l’école Serigne Cheikh Mbacké de Keur-Gou-Mak, où on a réussi aux tests auxquels on a été soumis. Après cela, on nous a amenés à Ngaye Mekhé et on logeait chez El Hadji Mbaye Diagne. Moi, on m’avait affecté à Ndiliwene vers Baba Garage.
C’était votre première aventure. Comment l’avez-vous vécue ?
C’était très difficile. Mais Dieu a fait qu’il y avait un oustaz plus âgé que moi, je le secondais pour les classes Ci, Cp. A chaque fois que je voulais rentrer, c’est lui qui me retenait, finalement je me suis habitué. Et j’ai enseigné 10 ans à l’école Serigne Cheikh Mbacké. Pour acquérir plus de connaissances et de savoir, on a décidé de partir en Lybie en 1986, pas par avion mais par la route. On a traversé le désert du Sahara. Etant enfant, on n’avait comme idole Kadhafi et une fois en Lybie, on était à Bengazi. Mais malheureusement pour nous, c’était sous la présidence de Ronald Reagan aux Etats-Unis et il y avait des bombardements en Lybie. Par la grâce de Dieu, nous sommes rentrés sains et saufs au Sénégal. De temps en temps, je faisais des aller et retour entre le Saloum et Dakar.
Quand est-ce que vous êtes venu à Dakar ?
C’est à partir de 1988 que j’ai décidé de rester à Dakar. J’étais aux Hlm 4, chez mon grand frère Pape Saer Socé. Ma routine, c’était de faire du sport le matin, enseigner, faire des cours particuliers. Jusqu’au moment où j’ai fait la connaissance de Mbaye Jacques Diop, qu’il repose en paix ! C’est moi qui enseignait le coran à tous ses enfants. Par la suite, il m’a dit qu’il voulait aussi apprendre le Coran. C’était quelqu’un de généreux car après mes prestations, il me donnait beaucoup d’argent. Lorsqu’il a été nommé président du Conseil économique et social (Craes), il m’avait nommé chargé de mission.
Pouvez-vous revenir avec nous sur vos débuts à Dunya ?
J’ai commencé à enseigner à Dunya de façon volontaire, à l’école « Makhadoul Khamdi wa Choukri ». Par la suite, il y a eu de la jalousie, et j’ai quitté. Mais ce sont les apprenants qui ont dit à Ben Bass, on veut Taib Socé. C’est ainsi qu’il m’a demandé de trouver 9 autres oustaz et que je dirige l’école. J’ai commencé en 1994 à faire des émissions, je faisais du Tafsir durant le Ramadan, et c’était très apprécié par les auditeurs. Après le Ramadan on a arrêté. Et c’est dans l’émission « Ce n’est pas normal », présentée à Dunya par Abdoulaye Lam, que les auditeurs me réclamaient. C’est comme les gens de Niarry Tally qui me réclament pour que je revienne à Iftaar. Finalement on a repris tous les vendredis.
Donc, vous faites partie des premiers oustaz à avoir fait le Tafsir ?
Dans ma génération, c’est moi qui ai inspiré des oustaz à faire le Tafsir. Lorsque j’étais à Dunya, j’ai invité beaucoup de oustaz qui sont devenus aujourd’hui des vedettes.
Quelle est la cause de votre séparation avec Ben Bass Diagne ?
J’ai un principe, je ne colporte jamais des mensonges pour faire plaisir à un patron. J’avais fait une conférence à Thiaroye où j’ai dénoncé toutes les magouilles du régime de Diouf. Ben Bass avait reçu des menaces de partout. Après avoir arrondi les angles avec Diouf, Ben Bas a accordé une interview au journal Le Témoin, mais on a eu l’impression qu’il défendait ses intérêts et me jetait en pâture. Ma famille n’avait pas apprécié cela. Après, j’ai rejoint Sud Fm en 1997.
Il paraît que c’est l’affaire Cheikhou Charifou qui a précipité votre départ de Sud Fm, qu’en est-t-il réellement ?
Effectivement. Mais c’était plus un règlement de compte médiatique, qu’autre chose. Je n’étais ni pour ni contre l’arrivée de Cheikhou Charifou. Mon rôle se limitait à traduire. Je n’ai jamais dit que cet enfant était un miracle. Maintenant, mon départ de Sud Fm, il y avait un débat sur l’affaire Cheikhou Charifou, on m’a interdit de participer à cette émission. Mais j’y suis quand même allé, j’ai démonté le marché de beaucoup de journaux et de journalistes. Le lendemain, Cherif El Walid Sèye (ancien directeur de Sud Fm) a mis fin à notre collaboration. Je lui ai dit « Salamoun Khawlan Minrabi Rahim ». Mais le vendredi suivant, j’ai eu un autre boulot. Ma mère m’a suggéré d’attendre car il y avait de la tension à l’époque.
Après, j’ai regagné 7 Fm, avant d’être recruté par Rfm dont Mamoudou Ibra Kane était le Dg. La même semaine, j’ai été contacté par 2Stv. C’est moi qui ai créé l’émission « Yoon-wi », et « Fajtaal » qui a été arrêté par la Cnra, alors que j’avais voyagé. J’ai fait 7 ans à la 2Stv, en même temps je faisais le Tafsir à la Rfm. A un moment donné, il y a eu des problèmes à la 2Stv. Alors, j’ai arrêté, car je ne pouvais pas sacrifier la famille, les charges étaient lourdes. Moi, je ne fixe pas de montant pour le salaire, alors que je fais rentrer de l’argent dans le groupe.
Qu’est-ce qui explique votre départ de Gfm ?
Lorsque j’ai été recruté par Gfm, j’avais une émission et durant chaque Ramadan, l’ambassadeur d’Arabie Saoudite achetait le Tafsir à 3, voire 4 millions de FCFA, sans compter 2 millions de FCFA pour les gagnants. Après, ils ont créé « Quartier général », mais j’ai souhaité ne pas participer à cette émission par principe. Lorsque j’ai eu des déboires avec la justice, on m’a appelé pour que je reprenne mon émission, mais je n’ai pas demandé à revenir. Comme chaque jeudi, je co-animais « Wareef » avec Eva Tra qui a déclaré à l’antenne que Taib Socé va revenir. Je me préparais, mais elle m’a appelé pour me dire d’attendre le temps de discuter avec les patrons. Peut-être quand elle l’a déclaré, on lui a remonté les bretelles.
Aussi, un soir dans l’émission « Quartier Général » (Qg), ils ont invité Ahmed Khalifa Niass qui disait du n’importe quoi et s’est même permis de se défouler sur moi. C’était devant Bouba Ndour et tous les autres. Et pourtant, personne n’a levé le plus petit doigt pour me défendre, alors que j’étais encore leur collaborateur. C’est à partir de ce jour que j’ai pris la décision de quitter ce groupe.
Quelles sont les leçons que avez-vous tirées de votre séjour carcéral ?
La prison, c’est un autre monde et c’est une autre école de la vie. J’y ai beaucoup appris. Vraiment, je ne souhaite à personne d’y aller, mais on y acquiert beaucoup d’expériences. Ce qui fait qu’on a même des pincements au cœur, au moment d’en sortir. Beaucoup de détenus venaient me soumettre leurs problèmes et je les aidais à surmonter cette épreuve. Il y en a qui sont là-bas, et qui ne voient personne, même pas leurs familles pour leur apporter à manger. C’est pourquoi je disais à ma famille de tripler ce qu’ils amenaient pour mon repas. Je regroupais tous les détenus et je faisais le tafsir et les vendredis, avant la prière, je leur faisais le bayaan. Et à chaque fois, ils scandaient : « Tu nous a libérés » !
Lors de votre séjour en prison, vous y avez rencontré Thione Seck. Que pouvez-vous nous dire sur lui ?
On était ensemble au Cap Manuel, mais c’était un homme bien, un homme très social. C’est lui qui payait l’abonnement Canal horizon dans toutes les chambres des détenus du secteur dénommé « Kamb gua ». Ce, pour leur permettre de suivre tous les matchs et de ne pas s’ennuyer. Il faisait aussi beaucoup de social et disait à sa famille d’apporter à manger à tout le monde.
Pouvez-vous revenir sur votre première nuit en prison ?
Ce soir-là, j’ai dormi comme un bébé. En réalité, le plus dur était derrière moi, et c’était les convocations et les va-et-vient à la Dic. Pour moi, c’est ce qui était le plus éprouvant, psychologiquement. Moi j’étais quitte avec ma conscience. Je suis incapable de faire certaines bassesses. Les Sénégalais ont une bonne image de moi. Je ne la vendrai pas, même pour des milliards. Je veux mourir avec ma dignité et ma foi. C’était la volonté divine et je l’ai acceptée avec philosophie.
Quel regard portez-vous sur la justice de notre pays ?
Il faut qu’on revoit notre système judiciaire, sinon il risque d’y avoir beaucoup de problèmes. Et je ne suis pas le seul à le dire. La justice de notre pays n’est pas impartiale, et cela n’est pas bon pour l’image de notre pays. Les citoyens doivent avoir confiance en leur justice et elle doit être là pour tout le monde.
Faites-vous partie des prêcheurs qui sont avec le pouvoir et qui chantent les éloges de Macky, à cause des enveloppes qu’ils reçoivent ?
Moi je ne suis pas contre Macky Sall et je fais partie des 65% de Sénégalais qui ont voté pour lui. Mais s’il dérape, je lui fais la remarque. Je n’hésite jamais à lui dire ma part de vérité. Il m’a fait appeler sans que je ne lui demande une audience. Au temps, j’étais à la Rfm. Je vais souvent au Palais, mais juste pour lui prodiguer des conseils pour la bonne marche du pays. J’ai dit à Macky de ne pas donner l’opportunité à Sonko de gâcher le travail qu’il a fait dans ce pays. Ce qu’il a réalisé dans ce pays est plus important. Donc, qu’il ne se laisse pas divertir. Moi je dis ce que je pense, car c’est du temps de Abdou Diouf que j’ai commencé à fréquenter les médias. Abdoulaye Wade, je devais avoir une audience avec lui, mais c’est ma position sur le débat sur le Monument de la renaissance qui a fait qu’il ne m’a plus reçu. Ce qui est sûr, c’est qu’il m’aurait remis beaucoup d’argent, mais puisque moi, je ne peux pas tricher, cette audience est tombée à l’eau.
Que dites-vous à ceux qui disent que Oustaz Taib est très dur et très ferme dans ses prêches ?
Ceux qui me connaissent, savent que je ne suis pas dur. Tout le monde dit que je suis véridique, que je ne connais pas la langue de bois. Je ne fais que traduire fidèlement, ce qui est dit dans le Coran, ni plus, ni moins. Je ne négocie pas ce qui est dit dans le Coran. Le Saint Coran est la parole divine et je ne l’utilise pas pour faire de la comédie ou de l’élogisme.
On a vu que vous êtes très captivant. Dans les bus, les taxis, marchés… Presque tout le monde écoute votre émission « Tafsiir » durant le ramadan. Quel est votre secret ?
Ma particularité, c’est que je ne dis que ce qui est dit dans le Coran. Je l’enseigne clairement et les gens aiment apprendre. Mon premier tafsir à Radio Dunya, j’ai reçu tellement de lettres d’appréciation !
Comment est Oustaz Taib en tant que père de famille ?
Moi je n’ai aucune autre fréquentation à part le boulot. Je suis toujours chez moi, entouré de ma famille. Je n’ai pas fait l’école française, mais mes enfants, c’est-à-dire les filles, les aînées ont toutes la licence, l’une est ingénieure en génie civil, l’autre fait du réseau informatique et elles maîtrisent aussi toutes le Coran. Et c’est pareil, pour les garçons qui ont à peine 12 ans. Quand je veux faire un récital de Coran, je ne vais chercher aucun talibé, ce sont mes enfants, filles et garçons qui le font.
Quel est votre passe-temps favori ?
C’est la lecture du Coran. J’adore être dans mon coin pour faire des recherches pour enrichir ma culture générale.
Comment vous gérez votre célébrité ?
Je le gère tout naturellement. A plusieurs reprises, j’ai été intercepté par des gens qui m’adorent pour ce que je fais, mais à chaque fois je gère. J’avoue que parfois c’est un peu difficile, car des fois tu es pressé, mais les gens ne peuvent pas comprendre cela.
Qu’est-ce que le Coran vous a donné comme récompense ?
Le Coran m’a tout donné. Mon père m’avait demandé de n’apprendre que le coran. J’ai pu, grâce à mes connaissances, bâtir une grande mosquée à Médina Sabakh, là où il avait l’habitude de se réunir avec ses amis. A Keur Madiabel, où réside ma mère, j’y ai bâti une très grande mosquée. En 2018, je faisais partie des invités du roi d’Arabie Saoudite. Et c’est à partir de là-bas, que j’ai décroché des partenaires pour la construction de cette mosquée. J’ai été au moins, à 20 reprises à la Mecque. Et tout cela je le dois au Coran.
On dit que le ramadan est la traite des prêcheurs, qu’en est-il exactement ?
C’est vrai qu’on le fait à chaque ramadan, mais contrairement à ce que les gens pensent, il n’y a pas beaucoup d’argent dans les conférences. Il y a des difficultés, qu’autre chose. Tout ce que tu gagnes, tu le redonnes. Du moins, moi c’est ce que je fais, car je fais beaucoup de social. C’est plutôt la traite des radios et des télévisions qui reçoivent beaucoup de pubs, mais pas pour les prêcheurs.
Entretien réalisé par Ndèye Anna NDIAYE
etAdama Aïdara KANTÉ