Au cœur du Sine, dans le département de Foundiougne, les femmes agriculteurs de la commune de Toubacouta ont vu leur quotidien, longtemps chahuté par la pénibilité de l’accès à l’eau, se transformer grâce à l’aménagement des terres cultivables. Au moment où le gouvernement prône la souveraineté alimentaire.
Visage noirci et rongé par les traits de vieillesse, Nassira Mané tire de toutes ses forces la poulie munie de cordes pour extraire l’eau du puits. Ses inspirations répétitives traduisent des signes de fatigue visiblement causées par le poids de l’âge. Il est 15h, ce 4 février 2023, lors d’une visite des responsables du Projet d’appui régional à l’initiative pour une irrigation au Sahel (Pariis), le soleil, chargé d’énergie positive est un allié encombrant dans le vaste champ de 10 ha du village de Dassilamé Sérère et fait transpirer les corps par ses rayons corrosifs. Tee-shirt indigo, collier traditionnel et sandales, taille trapue, Nassira est obligée de puiser tous les jours 200 litres pour remplir le réservoir qui doit alimenter son champ en eau. « Regarde mes mains, je n’en peux plus », se désole-t-elle montrant ses paumes endurcies par la corvée pénible au quotidien. A Toubacouta, commune du département de Foundiougne, à 240 km de Dakar, les femmes tentent de marcher vers l’autonomisation au moment où le gouvernement théorise la souveraineté alimentaire.
Plus de 200 emplois dont 97% de femmes
Pour arriver aux champs du village de Dassilamé Sérère, il faut suivre un sentier qui serpente entre les champs de maïs et les plantations de bananiers. Dans ces vergers où l’on retrouve des cultures comme la pomme de terre, la tomate, l’oignon, l’aubergine, la terre commence à faire pousser une verdure qui promet de rendre radieux l’avenir des 4000 âmes des villages de Dassilamé Sérère, Sour, Dami, Firdawsi, Néma Bah… Depuis le démarrage du Pariis, en 2020, les quelques 208 cultivateurs du champ de Dassilamé Sérère composés à 97% de femmes selon le président de la coopérative, Mamadou Bakhoum, commencent à voir le bout du tunnel. De 2009 à 2020, elles épuisaient leurs forces dans ce site, à la recherche du bonheur et ce dès le lever du jour. En aménageant 4,5 ha de terre sur les 10 ha du périmètre, le Pariis veut autonomiser les femmes qui marchent dans cette direction. Accroupie pour semer ses graines, Khady Ndour, sexagénaire, savoure : « Avant, on restait des heures à arroser nos champs grâce au système de poulies à la corde. Physiquement, c’était l’enfer pour nous. On était épuisées. Maintenant, grâce aux asperseurs, on peut arroser nos parcelles sans faire d’efforts. Je mets mes semences et demain, les asperseurs vont arroser mes parcelles. Dans 4 mois, je vais récolter de l’oignon. Grâce à ce travail, je règle tous mes besoins, j’aide de mon mieux mon mari et mes enfants ». Grâce à des panneaux solaires réalisés dans le cadre du Pariis, les asperseurs distillent l’eau sur le site au grand bonheur des occupantes qui peuvent cultiver 12 mois sur 12.
« J’ai puisé de l’eau jusqu’à devenir infertile »
Toute maigre, un brin crasseux, avec cet air élimé et un visage fatigué par des années à se résigner à utiliser des outils rudimentaires pour arroser son champ, Marième n’a rien oublié de ses mésaventures causées par la corvée. « J’ai puisé de l’eau jusqu’à devenir infertile », lâche-t-elle au milieu de lopins de ses terres où poussent tomates, oignon et pomme de terre. Lorsqu’elle s’en souvient, ses yeux roulent en boule pour afficher une profonde tristesse. Foulard sur la tête, la femme mince se voit encore dans ces charrettes la transportant vers l’hôpital, le drame des fausses couches et se souvient des mots particulièrement déchirants du médecin. « Vous ne pouvez plus avoir d’enfants. Vous menez une activité trop dure. Vos organes de reproduction ont été touchés », a dit cash la blouse blanche de l’hôpital de Fatick à la dame. Traumatisant.
Pour la cultivatrice, le monde s’effondre. Agée seulement de 35 ans, Marième est déclarée infertile. « Heureusement que j’avais 3 enfants avec mon mari qui a compris ma situation. C’était terrible », ajoute-t-elle préférant se concentrer désormais sur son mari et ses trois enfants. Désormais radieuse comme un joyeux drille, Marième entrevoit l’avenir avec le sourire. « J’ai acheté un lit, une armoire, un frigo et je paie la scolarité de mes enfants qui sont dans le privé », sourire-t-elle. Un sentiment que partagent la plupart des femmes de Dassilamé Sérère et Néma Bah.
Babacar uèye DIOP (Envoyé spécial)
12 février 2023