L’expression “Féminisation d’un métier” existe parce que pendant longtemps, certaines professions ne semblaient accessibles qu’aux hommes. Cette croyance obligeait des femmes compétentes à renoncer à leur passion parce que la société s’employait à leur répéter que “certains métiers ne sont pas faits pour les femmes, c’est trop compliqué, tu ne vas pas t’en sortir”. Heureusement, les croyances ont évolué et de plus en plus de femmes refusent de se laisser convaincre de renoncer à leurs rêves ou de limiter leurs ambitions. À travers cette série, Emedia.sn vous permet d’aller à la rencontre de femmes qui excellent dans des métiers rattachés aux sciences, à la technologie, à l’ingénierie, à l’aviation, au cinéma, etc. Focus.
Marianne Seck Tall
“Le génie-civil, c’est compliqué, tu ne vas pas t’en sortir”. Ce commentaire négatif et ses variantes toutes aussi défaitistes, Marianne Seck Tall l’a entendu assez souvent sans jamais se laisser convaincre ou distraire. Le temps a donné raison à ses efforts et à sa grande confiance en elle. En effet, en septembre 2019, le Sénégal a inauguré la plus grande mosquée d’Afrique de l’Ouest dont elle a dirigé la construction pendant 7 ans en tant qu’ingénieure conductrice de travaux. Quand, à seulement 31 ans, on compte à son actif la conduite des travaux d’un édifice comme Massalikoul Djinane, on peut être tenté de nourrir un sentiment de suffisance. Pourtant, Marianne Seck Tall reste humble et reconnait qu’elle a encore beaucoup à apprendre et à accomplir. Aujourd’hui, cette jeune maman est la Co-fondatrice de MDC Construction Sénégal, une startup spécialisée dans l’expertise et l’exécution de travaux de bâtiments et qui comporte une branche dédiée à la construction écologique et économique.
Ayant fait toutes ses études à Dakar, elle représente une fierté pour l’école sénégalaise et notamment l’École Supérieur Polytechnique (ESP) dont elle est diplômée. Elle est aussi une source de fierté pour ses parents qui l’ont toujours encouragée et soutenue. Aux jeunes filles, elle conseille de tout faire pour identifier leur véritable passion et se garder de tout suivisme. “Ne faites pas quelque chose parce que quelqu’un d’autre le fait ou parce que vous croyez que c’est ce qui est attendu de vous”, conseille celle qui a opté pour le génie civil alors que son père la voyait plus en génie informatique. Ce qui l’attire dans la construction, c’est le fait de pouvoir transformer un terrain vague en une merveille architecturale. Elle est allée au bout de ses rêves et est devenue une référence dans le domaine car, “Quand on aime ce qu’on fait, on peut exceller”. Pour elle, la passion est ce qui aide à dissiper les doutes, à consentir à des sacrifices et à triompher des difficultés pour atteindre ses objectifs les plus fous.
Ndeye Maty Ndiaye
Démocratiser l’accès à l’énergie et contribuer à protéger l’environnement. Tels sont les deux objectifs que les recherches de Ndeye Maty Ndiaye pourraient aider le Sénégal à atteindre. Sensible au manque d’électricité qui plongent certaines zones rurales dans le noir, elle participe à la mise au point de piles et batteries qui devraient permettre de stocker de l’énergie en plus grande quantité et pour un temps prolongé. Les batteries et piles conventionnelles contiennent des produits chimiques dangereux et qui, arrivées en fin de cycle, deviennent des déchets toxiques polluants. Ndeye Maty travaille en laboratoire sur la possibilité de remplacer les produits chimiques par des déchets végétaux comme les coques d’arachide ou les feuilles d’hibiscus dont la capacité de stockage d’énergie est six fois plus importante que ce qui est disponible sur le marché. Si ces recherches s’avèrent concluantes, il sera non seulement possible de renoncer aux produits chimiques dangereux, mais on pourra également donner une seconde vie à des produits organiques habituellement jetés comme déchets.
Ces recherches prometteuses ont valu à Ndeye Maty de nombreuses distinctions dont la Bourse l’Oréal pour les femmes en science qui lui a permis d’acheter des équipements et produits chimiques pour son laboratoire. Après des études qui l’ont menée en Afrique du Sud et en Philadelphie, Ndeye Maty est Enseignante Chercheure et assistante de recherche du Pr Balla Diop Ngom. Ses recherches font d’elles une digne ambassadrice de l’UCAD et une fierté pour sa famille qui a toujours cru en elle et son époux qui la soutient dans ses projets. Pourtant, se rappelle-t-elle, « Il y avait des gens qui me disaient : vous ne pouvez pas faire la science. Ce n’est pas fait pour les femmes ». Aujourd’hui, elle conseille les filles de croire en elles et de ne jamais penser qu’être femme les disqualifie pour certaines études ou professions.
Birame Sock
Et si le futur Jeff Bezos ou Jack Ma africain était une femme ? Il ne s’agit pas d’un vœu pieux mais d’une réelle possibilité. Cette femme s’appelle Birame Sock et elle est à la tête de Kwely une plateforme de vente en ligne comme Amazon et Alibaba mais exclusivement consacrée aux produits “Made in Africa”. C’est à 13 ans que Birame Sock découvre sa 1ére passion : l’entreprenariat. À cette époque, la famille vivait au Niger ou la chaleur était très forte. Elle eut alors l’idée de vendre de la glace et de se faire quelques économies. Plus tard, elle part étudier l’informatique aux États-Unis et devient une développeuse. Elle est assez vite confrontée à des préjugés racistes et sexistes auxquels elle réagit en travaillant deux fois plus dur que tous les autres et en dissimulant soigneusement tout sentiment de peur ou de doute.
Un jour, elle eut l’idée d’une application qui permettrait d’identifier n’importe quelle chanson ou mélodie. Elle soumet l’idée à une petite entreprise basée en Angleterre qui avait la technologie adaptée pour la concrétiser. Shazam, l’application ainsi créée totalise à présent des millions de téléchargements. Malgré ce succès, elle vend ses parts et revient s’installer au Sénégal pour lancer la startup Kwely inspirée par ses deux passions : l’entreprenariat et l’informatique. Elle milite pour la valorisation et la transformation des produits locaux que Kwely va aider à commercialiser. L’objectif est “de servir de relais entre les producteurs africains locaux, les consommateurs mondiaux et les acheteurs internationaux”. Elle encourage les jeunes filles à poursuivre leurs rêves tout en s’attendant à rencontrer des difficultés et à essuyer quelques échecs qui vont les rendre plus résilientes.
Salimatou Baldé Diallo
Le 7 décembre 2017, après 10 ans de travaux, le Sénégal inaugure l’aéroport Blaise Diagne qui va faire de Dakar un hub aérien. Pour Salimatou Baldé Diallo aussi, c’est un grand jour. À 35 ans, elle est la contrôleuse aérienne choisie pour superviser le tout 1er atterrissage. Cette responsabilité est à la fois une source de fierté et de stress. Le 1er avion à atterrir est un vol Transair en provenance de Ziguinchor. Des autorités et des représentants de la presse sont présents dans la salle pour assister à ce moment historique. Calme et concentrée, Salimatou parvient à guider le pilote et l’atterrissage est un succès.
“J’ai mesuré la chance que j’avais de vivre un événement qui se produit une fois dans une carrière : ouvrir un aéroport, faire atterrir le premier vol commercial, inaugurer les nouveaux équipements, c’était un gros challenge mais aussi une fierté”, se souvient-elle. Aujourd’hui, elle exerce en tant qu’instructrice pour contrôleurs aériens et le métier la passionne tout autant qu’à ses débuts en 2007. Certes, elle regrette de ne pas avoir suffisamment de temps à passer avec ses enfants, mais s’estime heureuse d’avoir un époux médecin qui la soutient et est son premier fan. Pour exercer ce métier, elle est allée étudier à Niamey à l’école d’aviation de l’EAMAC. En plus d’être bon en science, le métier nécessite également d’être parfaitement bilingue, d’avoir une bonne vision et de savoir gérer ses émotions. Aux jeunes filles désireuses de poursuivre cette carrière, elle assure que le métier est exigeant mais très passionnant. Elle les encourage à ne pas avoir peur des disciplines scientifiques.
Mati Diop
Raconter le drame de l’immigration clandestine à travers le point de vue des femmes qui restent et attendent. Tel est le défi relevé par Mati Diop à travers son film Atlantique. Le long métrage tourné à Dakar a permis à la jeune réalisatrice de remporter le Grand Prix du Festival de Cannes 2019, récompense qui célèbre l’originalité et l’esprit de recherche. Le film était également en course pour la Palme d’or aux côtés de Réalisateurs de renom tels que Pedro Almodovar, Terrence Malick et Quentin Tarantino. L’année suivante, ce sont les Oscars du cinéma américain qui sélectionnent Atlantique parmi les 10 meilleurs films internationaux.
C’est la consécration pour cette jeune femme Africaine qui arrive à se démarquer dans un monde dominé par des hommes blancs d’un certain âge. Ce film participe aux efforts de la jeune femme de se réapproprier sa culture sénégalaise à travers le 7éme art. “J’ai ressenti le besoin de retourner à Dakar et d’utiliser le cinéma comme un outil de réappropriation de mes origines noires. Je voulais remonter le fil de ma propre histoire, que je connaissais très mal finalement.” Née à Paris d’une mère Française, Mati est la fille du musicien Wasis Diop et la nièce du cinéaste Djibril Diop Mambety. D’ailleurs, c’est à l’occasion du 10éme anniversaire du décès de son oncle qu’elle revient à Dakar pour tourner un film documentaire sur Touki Bouki, l’une des œuvres majeures de Mambéty. Issue d’une famille d’artistes, elle s’est assez tôt intéressée à l’art et au cinéma. Toutefois pour celle qui avoue avoir une phobie de l’école, il n’était pas question d’intégrer une école de cinéma. Elle apprit donc le métier en autodidacte. « Je ne souhaitais pas intégrer une école de cinéma. J’avais besoin de liberté, d’apprendre à faire les films en les faisant. ». À travers cette histoire on voit que l’apprentissage peut aussi se faire sur le terrain, hors des murs d’une institution. Le seul ingrédient indispensable au succès semble être la passion qui pousse à la discipline et au don de soi.
Marly DIALLO
8 mars 2023