Nous sommes du même pays singulier que l’on nomme Poésie et nous habitons avec les mots argileux de notre terre natale.
C’est parce que nous creusons et forons au plus loin que nos mots respirent, à pleines gorgées, l’air authentique de la liberté.
J’ai longtemps hésité avant de risquer cette lettre à un poète immense, talentueux et tenace dans l’éternité du vers et l’élégance de la rime, ces plantes qui illuminent des mondes bien possibles, j’allais dire les variantes d’un monde de communion assumée.
J’ai hésité parce que j’ai eu peur de me sentir inférieur en la circonstance, c’est-à-dire de ne pas être à la hauteur de tes mots si vrais. D’autant plus que tu m’as mis dans une loge à côté de mon ami Abdou Aziz Diop, érudit et courageux, voué au service du Bien lorsque les cœurs sont envahis par la peur et les rancœurs.
C’est un honneur que tu me fais et je ne ferai pas dans la retenue d’en être fier même si je mesure tout le poids de la responsabilité que tu m’assignes, que tu nous assignes.
Wolof Ndiaye dit bien que « ku santul Yalla, doo santa sa morom ».
La variante chez un maître donne ceci : « Seuls les hommes libres sont reconnaissants les uns envers les autres ». C’est le mot de Spinoza.
Je te salue donc, cher ami, dans la pure tradition de la déférence due à un précieux aîné, et, surtout du fond d’une admiration jamais démentie depuis Mante des aurores.
Je te salue encore, Sall, mon cher compatriote du pays des Arts et des Lettres.
Je me suis emparé de tes mots, dans ce texte sublime, comme à chaque fois que tu affrontes la page blanche, Non, les Sénégalais ne seront pas dans les tranchées, et j’ai entendu perler des phrases rafraîchissantes.
J’espère et je souhaite aussi que ne prévalent que les tranchées des débats féconds, des conversations utiles et des convergences possibles.
Les armes de la critique ne doivent jamais céder à la critique des armes.
Il faut, en toute confiance, « gagner le débat », exhortation si bien formulée par Abdou Aziz Diop, titre de sa dernière publication.
C’est une question de responsabilité. Cette saine confrontation des idées engage, en effet, dans cette arène âpre, une éthique de la conversation dont le point de départ est l’injection d’une dose conséquente de rationalité dans nos choix partisans.
C’est également le socle axiomatique de la responsabilité en partage, de notre responsabilité collectivité et individuelle.
Or donc, sur cette scène qu’est la « politique », le poète voit clairement que ce qui croît doit être sauvé des périls menaçants.
La puissance de l’esprit est une promesse de lumière.
On le sait depuis l’aube de l’humanité, c’est-à-dire ce qui fait humain, ce qui nous élève en conscience, dignité et confiance.
Divine montée vers les plus hautes altitudes qui surplombent le monde et nous tient en ces hauteurs où l’idéal de paix entre les hommes devient évident.
Cher ami, tout au long de cette ascension, nous devons convenir, ensemble, d’éviter le piège du faux pas des pulsions violentes et des transferts négatifs.
Il est impératif d’extirper la notion d’ennemi du champ politique.
Impératif aussi de renoncer sans conditions, pour ceux qui en sont tentés, à toutes formes de violence et de discours susceptible de réveiller la bête en chacun de nous.
Impératif également de faire de la conversation et du dialogue les mécanismes d’exercice de la politique, programme contre programme, projet contre projet, vision contre vision.
Dans le long chemin vers la liberté, Mandela dit cette vérité : notre combat, c’est pour la vie, pas pour la mort.
L’idéal de la politique authentique est une vie heureuse, de tous et pour tous.
Tous les conflits doivent ainsi être circonscrits dans les limites définies par nos mécanismes institutionnels et notre expérience morale collective.
Impératif, enfin, pour tous les acteurs politiques, de promouvoir et de répandre les lumières de la raison contre les ténèbres qui cantonnent dans les univers captifs de l’instinct et de la pulsion de mort.
De savoir que la justice demeure la seule puissance publique d’arbitrage entre citoyens libres dans une République démocratique, sociale et laïque.
Je suis d’avis que le monde peut vivre dans l’harmonie. C’est du moins notre vocation d’humains.
Et le pari éternel du poème dont nous partageons la passion.
Sans la paix, point de progrès. Sans la paix, point de bonheur. Sans la paix, point de pays.
El Hadj KASSÉ
28 février 2023