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« NON, UN HOMME ÇA S’EMPÊCHE… »

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Si cette maxime wolof « lu jiwu wa jeexul jógufa » vaut encore et peut-être traduite comme si le grain ne meurt, l’avenir du Sénégal continuera d’être écrit par des anonymes qui possèdent des ressorts pour retourner des situations et réussir à renforcer un espoir. Souvent, ils n’en tirent pas parti. Ils ne font pas de leurs interventions leur récit qui, pourtant, n’aurait de raison que véridique. C’est tout à leur honneur. Sans doute qu’ils ne conjuguent pas des angoisses et des déceptions. Exemple, la crise universitaire de 1988 s’était dénouée à partir du terrain de basket du Pavillon A. Une initiative de Ndèye Astou Sarr, la capitaine de l’équipe féminine de basket du Duc (Dakar université club), méthodiquement mise en application par son époux, Dr Amadou Lamine Thiam, alors connecté à des membres de la Ced (Coordination des étudiants de Dakar) par l’étudiant Ndiaga Diagne aujourd’hui professeur à l’université Iba Der Thiam de Thiès. Ainsi, par ces moments d’intensité où d’aucuns parlent d’eux-mêmes et racontent leurs propres vérités… d’autres, à tort ou à raison, chantonnent des fractions et des déchirures… Ne leur faut-il pas prendre conscience et comprendre que le ridicule est odieux ?

De son livre posthume, Le premier homme, ces mots d’Albert Camus devraient-ils leur parvenir : « Non, un homme ça s’empêche… ». Des mots à imprimer sur des affiches qui crient aux façades des bâtiments de la cité. Que nul n’en ignore. Dans Citations de Camus expliquées, Jean-François Mattéi écrit : « Quelle que soit la situation, (…) il y’a des choses que l’on ne fait pas quand on est un homme. (…) Un homme exprime son humanité en refusant certains actes. » Seulement, quand ils végètent dans L’empire du mensonge* et ne veulent plus être des enfants de « Beug Deug Waar et de Bagne Gathié Ndiaye » (*voir le roman de Aminata Sow Fall), que ne feraient-ils pas qui célèbre l’ignoble et l’ignominie ? Parce qu’ils ne se définissent plus par eux-mêmes et croient qu’ils ne sont plus rien par eux-mêmes. Renonçant donc à leur raison critique. Se berçant de désirs défunts qui cadencent leur marche.

La parole manipulée est une violence
« De nos jours, les gens connaissent le prix de tout et la valeur de rien », d’après Oscar Wilde. Et le prix pour accéder au pouvoir semble valoir plus que la valeur des vies à sacrifier. « Sans autre projet que l’immédiat », demain serait encore macabre ! Comme hier il en avait été. Des jeunes qui fuyaient la désillusion. Oh combien ont été engloutis par l’océan ? Les mêmes vents continuent de souffler et de soulever des vagues qui emportent des promesses de changement. Mais, sans angoisse de déception future, certains veulent faire croire que le prix n’est pas encore cher payé. Que l’avenir serait dans une création de pompes funèbres… C’est la politique de la stupeur et du tremblement. Plus de cause à défendre. La manipulation a supplanté la propagande. Plus d’argumentation « c’est-à-dire le respect de l’autre », d’après Philippe Breton pour qui, « la manipulation serait privation de la liberté de l’auditoire pour l’obliger, par une contrainte spécifique, à partager une opinion ou à adopter tel comportement ». L’auteur de La parole manipulée soutient : « La parole manipulée est une violence, d’abord envers celui sur qui elle s’exerce, et sur la parole elle-même en tant qu’elle constitue le pilier central de notre démocratie. » Et les voilà qui parlent… Comme dans un pays qui n’a jamais été gouverné et où tout est possible. Sauf que, c’est quand ils arrêtent de parler qu’on les perçoit.

À les entendre, il faut qu’un changement advienne pour que tout soit à l’endroit. Toutefois, dans L’attente l’oubli, Maurice Blanchot disait : « L’attente commence quand il n’y a plus rien à attendre, ni même la fin de l’attente. L’attente ignore et détruit ce qu’elle attend. L’attente n’attend rien. » Mais, dans un univers de la manipulation et du mensonge, « on ne croit plus que ce qui nous arrange, au sein d’un horizon de pensée de plus en plus restreint, et l’on a perdu confiance dans le reste ». Au demeurant, des populations doivent-elles attendre que des politiciens trouvent le chemin pour parvenir à la présidence ? Le message de Ibrahima Bâ « Pékin » à ses camarades de la Ced (Coordination des étudiants de Dakar) de 1988 sonne encore. La veille de l’ouverture des négociations à la présidence, arguant qu’il avait une importante déclaration à faire, « Pékin » lançait : « Camarades, derrière la présidence c’est la mer. » Au Sénégal, une fois qu’un nouveau locataire accède à la présidence, ses promesses de campagne électorale finissent comme ces léeb (contes) qui tombent à la mer.

Assane SAADA

6 février 2023


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