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SANS BRUIT...

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Sans bruit, la Chine a posé son robot Zhurong sur Mars. Mission : conduire des analyses du sol, de l’atmosphère, prendre des photos et cartographier la planète rouge… En clair, chercher une preuve de vie passée. Dans les milieux scientifiques, l’atterrissage est salué comme un exploit. L’engin chinois fait jeu égal avec le rover de la Nasa, l’agence spatiale américaine, qui avait, lui, atterri sur la planète de feu au mois de février dernier.

Pour réussir cette gigantesque prouesse –Mars est à 200 millions de km de la Terre- la Chine a dû tirer des enseignements forts utiles des échecs de missions antérieures menées par Européens, Américains et Russes. Sans bruit. Morale de l‘histoire : seul le travail paie. Et sans bruit…

Par son approche, faite de sobriété et de discrétion, Pékin ravit la vedette à Washington qui occupe la scène médiatique comme pour stupéfier le monde, médusé. Le duel à fleuret moucheté se déroule avec délicatesse sur d’autres planètes à coups de milliards de dollars.

Désormais, nous assistons à un jeu des ambitions à une période charnière d’un monde sans boussole, gouverné par l’incertitude et les aléas dictés par des considérations géostratégiques de grande envergure.

Au centre des appétits féroces, il y a l’Afrique. Ce continent fascine. Mieux il éblouit ; tant son gigantisme, sa centralité et sa vitalité démographique constituent des atouts indéniables dans l’ordonnancement du nouveau monde annoncé. Nous sommes face à un moment critique aggravé par la persistance d’une maladie planétaire, le Covid-19 en l’occurrence, qui désorganise tout et nous révèle notre propre fragilité humaine.

L’asphyxie financière menace des régions entières qui ont touché le fond. Les élans de solidarité se font de plus en plus rares. Le quant à soi domine les rapports réduits au distanciel et ouvre un curieux chapitre de relations aux contours encore imprécis. Essoufflés, les pouvoirs publics ne parviennent plus à assumer leur rôle de puissance publique. Certains pays s’enferment dans une spirale d’endettement qui les prive d’aide parce que, dit le FMI, « leur dette est insoutenable ».

A l’image du Soudan, le plus endetté du monde, ce qui lui vaut un panel de haut niveau au présent sommet de Paris consacré à la relance post Covid des économies africaines. Celles-ci sont exsangues. Mais, et on ne le dit pas assez, les matières premières, dont regorge le continent, retrouvent des couleurs et des hauteurs avec des demandes en constante hausse.

Si les liquidités manquent, les stocks abondent. Une injection pertinente de capitaux frais fondée sur une souveraineté monétaire accrue devrait permettre aux pays d’Afrique de mieux se préparer à sortir de ce marasme sans nom. A l’échelle du continent, les économistes observent pour le saluer un lent processus de collégialité piloté par l’Union africaine. Pour inédite qu’elle soit, l’approche révèle une prise de conscience aiguë de l’homogénéité des situations qui appelle de la part des acteurs (publics et privés) des concertations pour dégager des réponses collectives. La rencontre de Paris en donnera sûrement un aperçu. Avec de nouveaux leviers ? Peu sûr.

Les dirigeants occidentaux s’attendent à un renversement de perspective d’autant qu’ils ne sont plus les seuls et uniques bailleurs d’une politique traditionnelle d’aide battue en brèche par l’incursion de plus en plus assumée et… sans bruit d’une Chine assurément conquérante. Devenue « usine du monde », elle est friande de ressources et n’hésite pas à payer au prix fort, donc rémunérateur, pour acquérir les matières premières indispensables au fonctionnement de sa robuste industrie de transformation.

Elle se montre même plus sensible à transformer sur place les matières brutes, comme en Zambie pour l’acier, développant du coup des liens plus durables et sans doute plus affectifs avec le secteur privé africain dans le but de créer de la valeur, des emplois et des recettes fiscales. L’Europe et les Etats-Unis perçoivent le danger de laisser, seule, la Chine opérer. En construisant des infrastructures qui rapprochent des pays, la Chine parvient à donner plus de vitalité aux économies africaines qui, non seulement trouvent des débouchés, mais s’insèrent dans des marchés financièrement plus conséquents.

La première à « décoder » ce danger n’est autre que la France qui a travaillé au corps le directoire africain pour la tenue de cette rencontre au sommet initialement prévue en avril 2020. Pour frapper les esprits, Paris renverse la table en mettant sur la table un milliard d’euros censés soutenir Khartoum englué dans d’inextricables difficultés financières, à amorcer sa transition démocratique et sa relance économique.

Sous la pression des évènements et de la conjoncture qui sévit perce un « nouvel état d’esprit » dans les rangs des Chefs d’Etat africains. Ils sont de plus en plus actifs sur divers fronts pour renforcer des axes de progrès, comme l’a dit un expert des questions d’intégration. Les opinions publiques africaines ont cessé d’être amorphes. Elles affichent même une surprenante vigueur et une étonnante vitalité. Les aventures solitaires ne sont plus de mise. Les dirigeants ont compris que le salut réside dans un sursaut collectif et non dans un ruineux égoïsme hérité des furtives prospérités des années 70 et 80 quand certains pays, dotés de matières premières prisées, affichaient avec tristesse des arrogances prématurées. La suite est connue…

Revenus de loin, les dirigeants actuels s’accordent pour s’attaquer aux racines de la pauvreté et s’engager dans l’accompagnement vers l’emploi. En toute objectivité, il y a de la ressource interne insuffisamment explorée en Afrique avant de recourir aux ressources des bailleurs et autres donateurs. Quid de l’épargne intérieure ? Des fonds de pensions ? De l’amélioration (et de l’efficacité) de la collecte des taxes ? De l’élargissement de l’assiette fiscale ? Des niches fiscales par lesquelles persistent les inégalités sociales ? Du financement prioritaire des projets structurants ? De l’abandon de souveraineté pour doter les pays d’infrastructures d’intégration à finalités multiples ?

Ralentir la croissance des dépenses de prestige constitue une autre voie à explorer. Pourquoi ne pas procéder à un inventaire d’économies pour orienter les gains obtenus vers des économies productives ? Le temps est venu que la politique produise des résultats pour l’ensemble des citoyens. Après la phase descendante, assiste-t-on à une inversion de cycle ? Autrement dit, la phase ascendante s’enclenche-t-elle aisément ? Le réflexe de survie a gagné les esprits au plus fort de la crise sanitaire. Le réalisme devrait gagner du terrain, en principe. En acquérant la culture des « coups durs », beaucoup d’Africains retiendront des leçons de vie tirées de la conjoncture avant de se relancer.

Un acteur nouveau (vraiment nouveau ?) frappe à la porte du banquet de la relance : la diaspora africaine dont les retours d’épargne vers le continent augmentent les ressources d’investissement tout en accroissant la vigilance de placement. Ils revendiquent légitimement d’avoir « voix au chapitre » dans l’élaboration des politiques de progrès.

Mamadou NDIAYE

18 mai 2021


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