« La foule d’un match était une image complète de la Cité », d’après Jules Rimet, le 3e président de la Fifa, sous le magistère duquel la 1re Coupe du monde de football était organisée en 1934. Une assertion dont la vérité est aussi prouvée par la configuration de l’Assemblée nationale. D’ailleurs, quelle folle emprise le football et la politique n’exercent-ils pas sur des populations. Ils fascinent et sont, aujourd’hui, menés par l’argent, les passions... Ils suscitent les mêmes regards selon le beau ou le vilain jeu des acteurs. L’instinct d’attaque, de combativité, le désir de vaincre, la fièvre partisane seraient les mêmes. Comme l’œil détaché du citoyen neutre que les scénarios dramatiques déplaisent et l’éloignent de ce qui ne cesse pas de le focaliser.
Après la 2e Guerre mondiale, Jules Rimet pensait que le football pouvait servir comme un excellent moyen pour dissiper la haine, les aversions, les ressentiments, les antagonismes et autres clichés… Seulement, le spectacle est là qui atteste que les antipathies et les incompréhensions gangrènent encore le football et la politique. Mais, si le football et la politique fascinent par ces temps de Mondial et de 1re session budgétaire de la 14e législature, l’exaltation, l’hystérie, le délire, le stress… sont de toutes autres natures. La philosophie des acteurs aussi. Le football est devenu cérébral. Mais, devoir respecter les dix-sept règles de base (codifiées depuis 1863) de ce sport n’altère pas des volontés. Tout le contraire d’un jeu politicien abolissant la conscience. Plus même de motif du répréhensible, un verbe incohérent.
Le luxe d’une réflexion, un combat contre la violence
Le football serait sans doute plus facile à comprendre que le jeu politicien devenu trop compliqué. Écouter des populations parler de football, sortir de leur désœuvrement, des soucis quotidiens… Voir le plaisir qui les transporte dans des discussions de schémas de jeu, de fair-play, rêver de victoires et de célébrations… « Le football est un laboratoire philosophique parfait pour des expériences de pensée. C’est exactement le lieu où penser à ce qui est et à ce qui devrait être », écrit Stephen Mumford dans son livre Football : la philosophie derrière le jeu. Pour l’auteur, les questions que soulève ce sport ne peuvent être tranchées seulement sur le fait. « Le football offre le luxe d’une réflexion où l’on peut penser à la nature du sport et à ce qu’il nous dit de la vie, de l’éthique, du monde et de la métaphysique ».
La codification du football, entamée vers 1840, c’était pour lutter contre la brutalité, la violence. Un combat qui se poursuit. Les premières feuilles de match étaient instituées dès 1854. Aussi depuis 1863, seuls des changements mineurs ont été apportés aux dix-sept règles de base du football. Tout le contraire du jeu politicien qui végète toujours plus dans des caniveaux… avec des « ultras » flirtant même avec le crime. Il ne fait plus rêver comme ces footballeurs qui visent un ciel toujours plus haut malgré leurs peines, les injures… Conscients qu’on ne leur laisse pas le choix. Pourtant ils n’ont jamais peur d’affronter la meute et ne crient jamais à la persécution. Leur grandeur leur interdit toute victimisation. Voici pourquoi ils sont adulés, portés par des millions de cœurs qui les chantent en chœur. Ils sont des perles rares. « Dans l’océan de l’illusion qui nous noie Qu’importe ce que nous réserve l’avenir C’est toujours avec le cœur que l’on joue », chantait Gilberto Gil (musicien et ancien ministre de la Culture) en hommage au Sport Club Corinthians et à Afonsinho (Afonso Celso Garcia Reis) qui « faisait carrière dans le foot pro tout en poursuivant des études de médecine. Son attitude rebelle et les valeurs qu’il proclamait incitait les sélectionneurs à ne pas l’intégrer dans la seleçao. (…) Son look, son engagement et son cursus ont inspiré l’ancien capitaine du Brésil des années 1982-1986, le docteur Sócrates ».
Des sacrifices ils en font. Ils n’aiment pas qu’on parle de ce qu’ils font pour leur pays, selon l’ancien international et Ballon d’or africain El Hadj Diouf. Le football c’est le collectif. Un jeu d’équipe même si un solitaire peut surgir, faire la différence et faire gagner un match. « Mon meilleur but ? C’était une passe », disait Éric Cantona. Suffisant pour galvaniser toute une fierté, nationale et au-delà par ces temps de Coupe du monde. Il leur faut trouver un système pour gagner. Ils l’ont fait ou ils devaient le faire. Rien que ne feront des politiciens qui passent des vies à déconstruire plus qu’à mettre en œuvre un système qui fédère autant que le football. Composer une équipe qui fonctionne, joue et gagne est une leçon faite aux politiques. N’est-ce pas réussir un phénomène « émergent qui appartient à un tout et qui diffère des propriétés des parties de ce tout ainsi que des propriétés résultant simplement de l’addition ou agrégation de ces parties » (Stephen Mumford).
Assane SAADA
5 décembre 2022