Ce 6 février est consacré à la lutte mondiale contre les mutilations génitales féminines. Cette pratique affectant des millions de femmes, il y a urgence à la démystifier et à la combattre.
À 9 ans, Khadiatou mène une vie heureuse et insouciante entourée d’une famille aimante et intellectuelle de la bourgeoisie Guinéenne. Son père est un historien de renom et sa mère a fait de longues études. Ils vivent sous le régime de Sékou Touré qui a, par le passé, fait emprisonner son père. Toutefois, un environnement familial protecteur et aimant adoucit la terreur de vivre dans un pays sous dictature. En une journée ensoleillée de 1969, Khadiatou est particulièrement heureuse car sa mère a promis de l’amener au cinéma. Cependant, elle est surprise d’être conduite dans un bâtiment qui ressemble plus à une sorte de dispensaire. Après qu’on l’ait fait s’allonger sur une civière, elle ferme les yeux s’attendant au plus à une petite piqûre. Mais ce qu’elle ressentit fut une douleur atroce qu’elle décrit des années plus tard en ces termes : “Soudain c’est l’horreur à fleur de peau, à fleur de chair au fond de moi. On dirait qu’on m’arrache les jambes, le ventre, ça monte jusqu’aux bras la douleur ». Mais au-delà de la douleur physique, elle est assaillie par une grande détresse émotionnelle ainsi qu’un sentiment d’incompréhension et de trahison. Comment des parents intellectuels et aimants ont pu ainsi la livrer à une telle brutalité ?
Ce traumatisme la suivra pour le restant de ses jours et sa relation avec sa famille en sera pour toujours ébranlée. Khadiatou sera plus tard mondialement célèbre sous le nom de Katoucha Niane dont le père n’est autre que l’écrivain Djibril Tamsir Niane. Le succès et la renommée rencontrés à travers le mannequinat n’arrivent jamais à effacer cet épisode marquant la fin de son innocence. Elle considère que son excision est à l’origine de toutes les addictions et déconvenues qui ponctuent sa vie : les innombrables soirées arrosées, la consommation de stupéfiants, les échecs matrimoniaux répétitifs et la perte de toute la fortune qu’elle a amassée. Prenant conscience de l’effet dévastateur de cet épisode marquant, elle décide de renouer avec ses origines et de se consacrer pleinement à la sensibilisation et à la lutte contre l’excision. En ce sens, elle publie un livre et crée une association en 2007. Malheureusement, elle disparait tragiquement le 1er février 2008, soit il y a exactement 15 ans.
Un fléau qui résiste au temps
Bien qu’étant illégale dans la plupart des pays, la pratique de l’excision, elle, survit. Selon l’ONG Plan International, cette pratique touche 200 millions de filles et de femmes principalement en Afrique, en Asie et en Amérique Latine. Il existe de fortes disparités entre pays pour ce qui est du taux de prévalence. Ainsi, en Guinée, en Égypte, en Éthiopie et au Soudan, plus de 85% des femmes sont excisées. Au Sénégal, en Gambie, au Liberia, ce taux est compris entre 85% et 25%. Ce taux est inférieur à 25% au Benin, au Togo et au Nigeria. On pourrait penser qu’il y a une corrélation entre l’excision et la religion mais la réalité est que cette pratique précède la naissance des trois religions monothéistes. Ses origines remonteraient à l’Égypte pharaonique et sera plus tard adoptée dans une région voisine, la corne de l’Afrique pour éviter que les femmes ne soient violées lors des razzias. En outre, aucun passage du Coran ou de la Bible ne mentionne ou recommande cette pratique. En 2007, l’université al-Azhar du Caire, l’une des plus influentes du monde musulman, a déclaré que les MGF n’avaient aucun fondement dans la loi islamique tandis que le Pape François appelle à renoncer à mutiler le corps des femmes.
Autre fait intéressant, dans des pays à majorité musulmane comme le Niger ou les pays du Maghreb cette pratique n’existe quasiment pas tout comme en RDC qui est l’un des plus grands pays catholiques d’Afrique.
Outre la religion, c’est la tradition qui est invoquée en guise de justification. Il s’agit de préserver ce qui a été hérité des ancêtres. Dans certaines cultures, on considère que le clitoris est un signe de masculinité qu’il convient d’enlever pour renforcer la féminité des jeunes filles. Aussi, l’excision est considérée comme un moyen de préserver la chasteté et l’honneur des femmes et de leurs familles. Dès lors, comment convaincre des familles et communautés entières d’abandonner ces pratiques ?
La sensibilisation comme moyen de lutte
La voie légale et juridique a permis de faire des avancées notables mais la procédure perdure dans la clandestinité. Les mutilations sont exercées en cachette à l’aide d’un couteau ou d’une lame de rasoir sans anesthésie et sans que toutes les conditions d’hygiène soient garanties. Quelques fois, le même instrument est utilisé sur plusieurs fillettes augmentant les risques d’infection et de maladie. La sensibilisation peut être alliée à l’interdiction. En 1997, l’ONG Tostan a réussi à faire abandonner cette pratique à Malicounda Bambara qui sera au fil des années imité par 7000 communautés dans 8 pays. Dans sa stratégie, Tostan évite soigneusement de moraliser ou de dénigrer les traditions locales au risque de générer un sentiment de repli sur soi. Les populations sont sensibilisées sur les problèmes de santé qui résultent d’une telle pratique. Selon l’OMS, il s’agit d’importants risques d’infection, d’hémorragie et de problèmes urinaires et menstruels. Aussi, les femmes mutilées sont plus exposées à des complications mortelles à l’accouchement. Sur le plan du bien être humain, des zones érogènes ayant été altérés, le plaisir féminin est considérablement compromis. Depuis quelques années, des chirurgies réparatrices aident à réparer ce qui a été endommagé. Cependant, il ne faut pas négliger les ravages psychologiques peut-être moins visibles mais tout aussi dévastateurs.
Marlyatou DIALLO
6 février 2023