Maïmouna Mbodj : Le Sénégal vibre depuis quelques semaines au rythme du calendrier scolaire avec les examens du brevet de fin d’études moyennes et du baccalauréat et plus récemment avec la cérémonie de remise des distinctions aux lauréats du Concours Général 2024. A plusieurs reprises dans ses interventions, le Président de la République Son Excellence Bassirou Diomaye Diakhar Faye a associé l’importance de réformer le système éducatif et l’importance de tirer un meilleur profit de la FASTEF et de l’UFR des Sciences de l’Education, de la Formation et du Sport.
Comment votre UFR compte-t-elle répondre à cet appel du Chef de l’Etat ?
Assane Diakhaté : Tout d’abord, je ne voudrais au nom de tous mes collègues féliciter le Président de la République et le Premier Ministre pour leur vision clairement affirmée pour une éducation souveraine et réinventée. Tous les Sénégalais sont conscients de la nécessité de réformer en profondeur le système éducatif pour le tourner résolument vers le développement et le mettre au service de la communauté. Tout le monde se souvient du mouvement de nos élèves demandant que certains programmes soient changés pour renforcer la pertinence des enseignements. Ensuite, différentes réflexions et rapports nationaux sur l’éducation ont pointé du doigt la faible pertinence culturelle de certains contenus et l’absence des langues nationales comme des facteurs critiques pour expliquer les faibles performances du système éducatif. L’UFR des Sciences de l’Education, de la Formation et du Sport que j’ai l’honneur de diriger réfléchit au quotidien sur ces problématiques et a plusieurs solutions dont certaines sont déjà en cours de mise en œuvre. Nous avons eu l’opportunité de les présenter à notre Ministre de tutelle, Docteur Abdourahmane Diouf lors de sa dernière visite à l’UGB en juin dernier (NDLR, juin 2024). Nous avons un programme complet et complexe de développement du capital humain qui commence avant même la grossesse et qui suit la logique du cycle de vie. Les ressources humaines de notre pays doivent être préparées non seulement avant leur naissance, mais de plus en plus clairement avant leur conception.
MM: Qu’est-ce qui fait l’innovation de cette approche? Qu’est-ce qui fait sa pertinence culturelle et quels sont les résultats qu’on peut en attendre concrètement pour le développement des ressources humaines nationales ?
A.D.: La grande innovation de cette approche et en même temps sa pertinence peuvent être visible sur les points suivants: tout d’abord l’intégration de la famille et des valeurs familiales et sociales sénégalaises comme un point de départ important du système éducatif. Les familles sénégalaises ne sont pas que des bénéficiaires du système éducatif mais aussi des acteurs clés. Le Ministre de l’Education nationale parle comme vous l’avez suivi de la société éducative. C’est un changement majeur auquel nous croyons. Nous croyons que la famille est le point de départ de cette société éducative. Les découvertes en neurosciences ont montré l’importance des premières années de la vie sur le développement du capital humain d’un pays. Conscients de cet enjeu, nous avons développé une spécialisation et une certification en petite enfance pour renforcer significativement les capacités et les expertises nationales dans la prise en charge du développement holistique des jeunes enfants et renforcer les compétences parentales. Il faut donc d’une part former un grand nombre de personnes dans le domaine de la petite enfance et toucher le maximum de parents et futurs parents avec des compétences pratiques et précises. Plus de 80% de nos enfants de moins de 5 ans ne sont pas enrôlés dans les structures préscolaires. Selon le dernier RNSE, environn 17% seulement de ces enfants sont préscolarisés. Même à court terme, rien ne permet d’espérer qu’il y aura assez de structures vu le rythme d’accroissement de la population d’enfants de moins de 5 ans. D’après les simulations conduites par mon collègue Ibrahima Giroux, même sur une période de 200 ans, le gap entre l’accroissement de la population et celui des constructions ne peut être comblé. Sans les parents et les familles, les communautés, la plupart de nos enfants ne pourront pas réaliser leur potentiel. Ce sera donc autant de citoyens à l’âge adulte dont le Sénégal ne pourra tirer le meilleur profit. Nous voyons donc tout le sens d’avoir une société éducative. D’ailleurs, notre UFR s’est dotée d’une unité de santé mentale qui offre des services de préparation à l’accouchement sur le plan physique et psychologique pour offrir à tous nos enfants le meilleur départ possible dans la vie.
Ensuite, dans le cadre de notre programme dénommé le baobab du capital humain, nous avons élaboré tout une stratégie pour renforcer les compétences scientifiques de nos enfants, améliorer l’orientation scolaire vers des filières scientifiques et techniques et réduire la durée de la scolarisation sans perdre en efficience et en efficacité. A mon sens, nous n’avons pas besoin de passer 16 ans de l’élémentaire à la fin du lycée. Nos innovations pédagogiques facilitent l’acquisition des concepts scientifiques très précoement. Par exemple, nous avons des méthodes qui permettent d’initier les enfants du CM2 à des concepts mathématiques développés en classe de 4ème voire 3ème au collège sans difficulté significative. Dans le cadre du cap scientifique et technique fixé par les nouvelles autorités, nous pourrions former l’ensemble des enseignants et assurer le changement qualitatif dans le système éducatif au Sénégal. L’objectif visé par cette démarche est de permettre à notre pays de maîtriser le processus pour produire un nombre ambitieux d’ingénieurs de classe mondiale chaque année. Nous allons également démarrer la phase pilote du déroulement du programme de mathématiques de 4ème et de 3ème en 60 heures. Il se déroule en un mois à raison de 2h de cours par jour. Imaginons les gains en termes de temps d’apprentissage, d’économie et de possibilités de renforcement.
Cela signifie qu’à terme, avoir des enfants sénégalais de 15 ans bacheliers ne sera plus exceptionnel au Sénégal mais rentrera dans l’ordre normal des choses et de la culture scolaire. C’est aussi l’Etat du Sénégal qui va par cette nouvelle approche réduire les déficits d’enseignants, de salles de cours et de collèges et améliorer l’efficacité de l’investissement public consacré à l’éducation. C’est une véritable économie d’échelle pour l’Etat du Sénégal et une amélioration sensible de la santé mentale des enseignants. Dans cette optique, si le Sénégal veut produire 10.000 ingénieurs world-class, on pourra maîtriser le processus et identifier les voies qui nous mèneront vers cet objectif. En tant qu’UFR des sciences de l’éducation, cela est non seulement de nos compétences, mais de notre responsabilité et nous sommes dans les dispositions d’accompagner les autorités à atteindre ce nouveau cap que nous saluons.
Enfin, nos innovations sont déjà en cours dans le domaine du bien-être et de la haute performance. Nous venons de réaliser un grand résultat avec les performances de Pedro Rogery de la Guinée-Bissa sorti premier de sa série au 50m nage-libre homme lors des jeux olympiques de Pédro bat son propre record avec un temps de 28’34’’. Pédro a été préparé par notre centre de haute performance en vue des JO 2024. Que ce soit dans le domaine du sport de haut niveau ou de l’éducation, notre UFR regorge de compétences pour améliorer les performances nationales. Nous préparons aux examens et concours tout comme nous préparons aux hautes compétitions. Nos protocoles de coaching permettront à nos élèves et étudiants de donner le meilleur d’eux-mêmes.
MM: Pour finir, j’aimerais que nous revenions sur la société éducative. Quelles peuvent être vos contributions en tant qu’UFR des Sciences de l’Éducation?
A.D.: Cette vision du Ministre est en droite ligne avec nos objectifs de développement du capital humain. Nous sommes dans une UFR des sciences de l’éducation, disciplines plurielles et multiréférentielles, champs de pratiques ne se limitant pas à l’école et à la formation des enseignants, mais s’intéresse aussi à la famille, aux médias, à la rue, aux associations…. Pour nous les situations et faits éducatifs s’exécutent dans et par la société dans tous ses démembrements. L’éducation pour être complète et cohérente dans sa mise en œuvre ne peut être isolée des autres institutions et par conséquent elle est au centre des autres systèmes: politiques, administratifs, démographiques, etc. Ce paradigme est le fondement même de la création de la discipline depuis Marc Antoine Julien de Paris avec son ouvrage “Esquisse d’éducation comparée” mais aussi et surtout il est en parfaite cohérence avec nos valeurs et traditions éducatives. Chez nous, l’éducation est avant tout une affaire de la société. Celle-ci n’a pas attendu l’école pour éduquer ses enfants. L’éducation a donc toujours été une affaire de tous pour tous. C’est pour cette raison que nous essayons d’être:
– l’UFR de l’innovation avec des activités comme les thérapies de groupes qui impliquent toutes les UFR, notre vaste gamme de services à la communauté.
Nous proposons de réduire le temps de scolarisation dans le cycle fondamental de 4 ans: passer 4 ans à l’Elémentaire (au lieu de 6 ans) et 2 ans au Moyen (au lieu de 4 ans).
– l’UFR de l’inclusion avec le Centre d’Application, d’Intervention et de Recherche (CAIR),
– L’UFR qui développe une formation de qualité des enseignants avec un département de formation des enseignants
– L’UFR de la recherche en éducation avec le Centre de Recherche en Éducation, Formation et Sport
En conjuguant nos efforts et en travaillant avec les différents démembrement du gouvernement nous pourrons co-construire cette société éducative.