La politique, un jeu ? Elle procure du plaisir certes. Mais elle reste une activité sérieuse. Ses adeptes le savent. Ils s’en donnent à cœur joie même s’ils n’occultent pas la réflexion à l’opposé de toute légèreté.
Sous cet angle, le jeu et la politique se rapprochent par la créativité qu’ils induisent. Ils gardent néanmoins leur spécificité tout en s’imbriquant par moment. Il s’agit de deux univers que tout distingue.
En partant pour la Chine l’autre semaine, le Président Diomaye Faye se pliait à un agenda international, (visite d’Etat et Forum sino-africain). Il s’offrait ainsi un peu d’air sans toutefois être hors sol devant l’amoncellement de défis domestiques : le projet de loi de finances, la pression du Parlement pour la tenue de la DPG, la motion de censure brandie par l’opposition, les péripéties de la dissolution, l’organisation anticipée d’élections législatives en novembre.
Si l’on y joute la note peu réjouissante du FMI à propos de la conjoncture récessive ou la « bronca religieuse » suscitée imprudemment par un de ses proches collaborateurs, on s’aperçoit que les désaccords politiques rendaient imprévisible la gouvernance. S’imposait au Président Diomaye la restauration de « l’ordre légal » menacé, selon lui, par « l’ordre politique » qui se faufilait pour le supplanter.
Par ces mesures fortes, il relève la tête en s’arrogeant une maîtrise des opportunités politiques et leur corollaire, le pilotage des initiatives. Des prérogatives qu’il entend jalousement conserver et préserver à la fois. Le faux-gentil vous salue !
La 14ème législature se conjugue ainsi au passé. De même que la coalition Benno, définitivement enterrée par son inspirateur, l’ancien Président de la République Macky Sall qui, à l’occasion, se révèle actif et acteur « à ne pas négliger » dans le nouveau cycle politique qui s’ouvre.
En retrait de la vie politique, le patron de l’APR, reconverti dans la diplomatie internationale, observe tout de loin dans un silence éloquent. Sans doute attend-il le moment propice pour se découvrir en faisant languir ses partisans ! Hasard de calendrier ou symphonie rondement orchestrée ?
Diomaye, lui, affiche un visage d’une sérénité relative pour assumer en totalité la dissolution de l’Assemblée nationale. Il affirme, par ce biais, vouloir lever l’équivoque de deux majorités qui se neutralisent sur l’échiquier politique et se lancer à la quête d’un confort institutionnel que les Sénégalais n’hésiteraient pas à lui octroyer grâce à un pouvoir législatif accru.
Est-il sûr de l’obtenir ? S’achemine-t-on vers un changement radical de cap ? Ne craint-il pas une soudaine propension des électeurs à équilibrer les pouvoirs dans le but évident d’éviter les abus de pouvoir ? Ne coure-t-il pas le risque d’aller vers des difficultés grandissantes ?
En vérité, les majorités bruyantes ont fait long feu. Autrement dit, elles ne sont plus de saison. De Senghor à Macky en passant par Diouf et Wade, chacun d’eux a eu son heure de gloire avec des Parlements qui leur ressemblaient. Quel effet cela a-t-il produit sur la longue durée ?
Très peu, en survolant les législatures successives. En revanche, le temps file en direction du 17 novembre, date retenue pour les élections législatives. Sonko, tribun et vedette des grandes foules, sait que les bains de jouvence lui permettent de remonter dans les côtes de sympathie à mesure qu’il descend sur les terrains, terreaux de ses élans de convergences.
Néanmoins, les deux têtes de l’exécutif, tout en jouant les duettistes, n’écartent pas un retour de l’ancien monde qui pourrait rebondir à l’occasion des législatives sous une forme de baroud d’honneur. Quels discours tenir en vue de séduire à nouveau les électeurs gagnés par un réalisme efficace ? Il est à redouter que les petits partis racornis refassent surface à travers des combinaisons plus ludiques que pragmatiques.
Le pouvoir ne s’exerce pas comme il a été conquis. Nuances. Le changement d’échelle dicte une certaine reconsidération en privilégiant la compétence, l’expérience, le talent afin de couper court aux reproches et même temps s’extraire du cumul de maladresses imputables à l’impréparation ou à l’empressement.
Il est vrai que les attentes foisonnent tant chez les jeunes et les adultes, que chez les hommes et les femmes, dans des cercles de cadres, des professionnels, des travailleurs occasionnels, des militants ou des sympathisants.
Par moment même, les dirigeants actuels donnent l’impression d’être submergés alors qu’une logique d’anticipation doublée de vigilance et de pondération aurait pu leur épargner les fâcheux errements, les emportements, les sorties intempestives dans les médias. D’ailleurs existe-t-il de « capteurs » au Palais et à la Primature ?
Le calme et la tempête ne s’apprécient pas de la même façon. L’un et l’autre émettent des signaux différents. Or pour cela il faut non seulement un œil exercé, mais aussi un flair prononcé et un soupçon de chances adossé à un suivi régulier des oscillations sociales au sein d’un société déjà happée par les urgences et fortement tenaillée par les impatiences des couches juvéniles.
La reprise des voyages clandestins par la mer sonne comme un désaveu permanent. En outre, le malaise montre que le nouveau pouvoir, à son tour, prend son lot de ces « suicides collectifs » avec un nombre encore plus élevé de morts. Le dur quotidien n’a que très peu changé pour espérer une inversion de la courbe des départs intempestifs.
Nous assistons à une tragédie au long cours…
L’affaire est entendue : les jeunes sont sourds aux paroles. Ils jugent aux actes afin de renoncer à l’appel du large, seul stratagème à leurs yeux pour obtenir d’hypothétiques avantages. Or les migrants se heurtent de plus en plus à des obstacles érigés le long de leur itinéraire chaotique.
L’Europe se barricade. L’Angleterre, en resserrant les entrées, se rapproche de l’Italie pour s’inspirer du modèle de fermetéqu’incarne Giorgia Meloni, la Présidente du Conseil des ministres, intraitable sur cette lancinante question.L’Allemagne aussi s’y met.
Berlin amoindrit le flux migratoire sur son sol. La victoire de l’extrême droite allemande y est pour quelque chose. Les populations européennes deviennent de plus en plus réceptives aux thèses extrêmes, de surcroît inhospitalières mélangeant à volonté envahissement et « grand remplacement » dans le funeste dessein de produire un rejet massif des immigrés indexés comme des épouvantails.
Les chefs d’Etat africains en ont-ils conscience ? Ils n’en parlent pas ouvertement ni dans les rendez-vous au sommet ni dans les rencontres bilatérales. Si au regard de leurs responsabilités respectives, ils esquivent la problématique, qu’en est-il des institutions d’intégrations censées refléter les pensées et interpréter les silences des présidents africains.Aucune de ces organisations ne bouge.
Au mieux, se contentent-elles de rédiger des communiquésincolores pour s’apitoyer sur le sort des jeunes que l’océan engloutit sans jamais pointer les responsabilités des dirigeants africains. Le sujet reste grave, l’opinion est très outrée, tandis que les gouvernants détournent le regard.
Mais attention : le volcan couve sous la cendre chaude. Au juste, il reste peu de temps pour transformer l’équation politique jusque-là insoluble en un puissant effet de levier afin de renverser la perspective.
Par Mamadou Ndiaye