Les résultats des élections générales gabonaises ont été proclamés à une heure de crime. Trois heures du matin. Ali Bongo gagne sans coup férir. Le Centre gabonais des élections, présidé par un certain Michel Stéphane Bonda, ancien conseiller spécial du père, puis du fils, a décerné à ce dernier plus de 64% des suffrages. Ce qui veut dire une popularité décuplée. Alors même qu’en 2016, il est passé ric-rac avec quelque 5000 voix de plus à l’issue d’une parodie électorale. Pour cette fois, le crime n’était pas parfait. À la minute qui a suivi les micmacs, un comité de transition et de restauration des institutions a coupé court en annulant tout.
L’élection et le régime sont mis à la poubelle. Ali Bongo l’aura bien cherché. Il faisait peine à voir depuis son AVC en 2018. La maladie parle en silence et lui a conseillé d’appuyer sur le frein. Tout homme est un malade qui s’ignore. On peut tous attraper un microbe. Mais éclopé à ce point, il est difficile de tenir le rôle surhumain de chef d’Etat. Ceux qui aiment le président déchu ne doivent pas être nombreux au point de le regarder «mourir» presque sur scène. Les militaires qui l’ont déposé l’ont aidé et sauvé. Ce coup d’Etat n’est pas une ignominie. Il est sanitaire et salutaire. Il rappelle quelque part la révolution de palais que la Tunisie a connue en 1987. Bourguiba, «le combattant suprême» a été défénestré pour cause de sénescence et de sénilité.
Les dirigeants ne sont pas transparents sur leur état de santé
En règle générale, les dirigeants ne sont pas transparents sur leur état de santé. Ils oublient qu’il existe aussi le salut. La France, un autre cas d’école, a eu de l’aversion pour l’oubli conscient de Mitterrand. «La force tranquille» se savait atteint d’un cancer de la prostate dès 1981. Ça ne l’a pas empêché de briguer et d’obtenir par deux fois la fonction suprême. Sa pathologie a été estampillée secret d’Etat pendant longtemps. Aujourd’hui encore, les Français ne digèrent pas qu’on leur ait menti à ce sujet, même si Mitterrand est à ce jour le dernier grand président de France. Le porte-parole actuel du gouvernement français Olivier Véran a lui trébuché sur le plan communicationnel en demandant à chaud le respect du résultat des élections avant d’admettre qu’il n’était pas certifié. La faute de communication relève plutôt d’une faute de goût pour l’ancien colonisateur. Son extrême dépendance aux ressources du sous-sol africain explique les louvoiements. Autres temps, autres mœurs.
L’extraterrestre parle un espéranto incompréhensible
Les potentats locaux et les marionnettes sont en voie d’extinction. Les générations nouvelles rejettent vigoureusement toute vie maritale. Qui pouvait penser que les jeunes Gabonais céderaient en 2023 aux sirènes du dégagisme après les errances de Léon M’Ba et Omar Bongo ? Le premier président s’est presque agenouillé pour demander à faire de son pays un département français. Le suivant et le plus connu a cru bon, pour sa part, de filer la métaphore automobile. Le président Africain préféré de la France Omar Bongo est l’auteur de cette phrase surréaliste : «Le Gabon sans la France, c’est une voiture sans chauffeur. La France sans le Gabon, c’est une voiture sans car- burant». Ces mots ont été véhiculés par un monde aujourd’hui disparu. Les poubelles de l’histoire sont remplies de gens qui ont tout fait pour durer mais peu de choses pour agir en direction de la population. Peu de monde les regrette aujourd’hui. N’eût été la maladie qui le ronge à bas bruit, Ali Bongo n’aurait même pas d’âme compatis- sante. Le bruit assourdissant auquel il a appelé tombe dans l’oreille d’un sourd. C’est un extraterrestre qui venait de s’exprimer dans un espéranto que son peuple ne comprend pas.