En ce mercredi 13 septembre 2023, sous un ciel nuageux, alors que l’horloge affiche 12h 45 minutes, Grand-Dakar, un des quartiers populeux de Dakar, grouille de monde. Crée en août 1949 sur décision du maire de Dakar, Lamine Guèye, cette commune polarise aujourd’hui environ 64 290 âmes sur une superficie de 100 hectares. Ici, vers l’ex-cinéma Liberté, le bruit assourdissant des menuisiers en bois et métalliques et des garages de mécaniciens impose une oreille bien tendue pour entendre. L’odeur de l’huile et du gasoil titille les narines. Et les vrombissements des taxis, des «Cars Ndiaga Ndiaye», «Cars rapides» s’intègrent dans l’ambiance quotidienne. Sans compter les gargotes à ciel ouvert. Chacun essayant de tirer son épingle du jeu pour faire face à la conjoncture économique.
«Si un enfant se payait au supermarché, je mettrais des millions pour en avoir»
Cadre dans une banque, au volant de son véhiculée, A. Fall, âgée d’une quarantaine d’année, de petite taille, teint noir, cheveux courts, accepte de se confier sur le sujet : la pression sociale du mariage, les préjugées et autres pesanteurs. «J’ai failli devenir folle, j’étais dépressive à cause de ces questions. Tout le temps, c’était : ‘’tu n’as pas encore ton premier bébé, à quand le baptême ?’’ Comme si ça ne dépendait que de moi. C’est vraiment difficile à supporter», peste-t-elle tout en remuant la tête. «Si la grossesse et les enfants se payaient au supermarché, je paierais des millions pour en avoir. Car ça me saoule», lance tout de go Suzanne Diakhaté. Trouvé dans son atelier, les yeux rivés sur son centimètre, le visage perlé de sueur, Abdou, menuisier de son état, fait preuve de patience pour son épouse. Mais il vit l’enfer avec sa famille. «Ma mère ne le supporte pas et me sert souvent : ‘’Rousslo ngama si samay nawlé rek’’ (tu m’a couver te de honte). Embouchant la même trompette, Vieux Mbaye Dione met son petit grain de sel dans la discussion. «Ici, on se dit croyant, mais c’est sur les lèvres. Non, on croit à des superstitions, à des sénégalaiseries. A cause de cette pression sociale, le taux de divorces a connu une hausse. Dommage !», constate-t-il, en continuant de mâcher tranquillement son cure-dent.
«Ma mère m’a proposé des bains mystiques pour avoir des enfants»
Non loin de Grand-Dakar, au marché des HLM, Absa
Ndiaye, vendeuse de fou- lards, chétive, grande taille, la peau dépigmentée, indexe les mères de famille. «Nous sommes fautives en partie. Et nous ne voulons que du bien pour notre progéniture. C’est pour ça que nous sommes exigeantes avec nos enfants, nous les mamans», argue-t-elle. Pour elle, «une femme, c’est d’abord un mari et des enfants. Et si c’est un garçon, c’est la réussite sociale, avoir un travail décent, une bonne situa- tion et une belle femme». Surgie de nulle part, Diéba, 40 ans, s’invite dans la discussion et donne son point de vue. «Je me suis mariée très tôt. Je n’ai pas encore d’enfant. Ma mère ne cesse de me pousser au divorce et à aller chercher un autre mari. Le plus cocasse, elle m’amène chez des marabouts pour faire du ‘’sangatte’’ (bain mystique), parce que elle est convaincue que c’est une malédiction qui me poursuit et m’empêche de trouver un autre mari», explique-t-elle avec un large sourire, puisqu’elle n’y croit pas visiblement. «Je reste convaincue que mon heure va sonner et que Dieu me gratifiera de mignons jumeaux», espère la dame. «C’est à cause de cette jalousie maladive qu’on entend du n’importe quoi dans les faits divers. Tuer, voler, marabouter, des atrocités que notre société cultive. A cause de cette pression sociale que vivent certaines personnes, elles finissent par commettre l’irréparable», se désole- t-elle.