Elle est la réalisatrice du film «Sira», un chef-d’œuvre qui parle du terrorisme dans le Sahel, sous le prisme d’une femme. La Burkinabè Apolline Traoré, qui a choisi Dakar pour l’avant-première de son 5e long métrage, revient ici sur les motivations de ce film.
Vous venez de faire une projection de votre film, «Sira», à Dakar. Alors, d’où est venue cette inspiration sur le terrorisme ?
Depuis plus d’une décennie, le Sahel souffre d’attaques terroristes et le Burkina Faso en fait partie. Nous sommes des artistes, nous ne sommes pas des politiciens, nous ne sommes pas non plus de l’armée. Mais notre art à une force de toucher, une force d’aider les gouvernements et l’armée pour dénoncer ce qui se passe dans le Sahel. Et surtout de faire parler et de montrer au monde entier ce qui se passe chez-nous. C’est après plusieurs attaques dans mon pays que je me suis dit : qu’est-ce que je peux faire ? Quelle peut être ma contribution ? Pour moi, ma participation c’est de dénoncer ce fléau par un film parce que c’est ce que je sais faire.
Justement, ce film, votre 5e long métrage, a reçu l’Etalon d’argent de Yennenga lors du dernier Fespaco. Quels sont les prochains défis ?
Les défis, c’est de le montrer dans le monde entier. Le film sort à partir du vendredi 27 octobre (Ndlr : l’entretien a eu lieu le 26) dans presque 12 pays francophones dans les Canal Olympia et Cinéma Pathé. Si ça continue son chemin dans les festivals, nous allons nous battre pour la course aux Oscars. L’essentiel, c’est que le film soit vu partout par le maximum de personnes, et moi j’aurai gagné.
D’habitude, quand on parle de terrorisme, ce sont les hommes qui sont mis en avant. Pourquoi avoir choisi une femme qui est au-devant de la scène ici ?
Justement, c’est une très bonne question. J’ai choisi une femme parce que, quand j’ai commencé à travailler ce film, je suis partie dans les camps de déplacés où il y avait beaucoup de femmes et des enfants avec qui j’ai eu à discuter. Je me suis rendu compte que les femmes avaient un grand rôle à jouer dans cette lutte. Parce qu’on les stigmatise, on les montre comme victimes, pourtant elles sont incroyablement au sein de ce fléau. Car, c’est elles qui gardent les enfants, des enfants qui ont vu des horreurs, des enfants qui, demain, peuvent avoir le sentiment de revanche. Et ces femmes-là retiennent ces enfants en leur demandant de rester à coté et ne pas surtout rejoindre les camps terroristes. Pour moi, ce terroriste n’est pas à combattre avec plus ou moins les armes. Mais justement avec la compréhension et surtout l’amour de soi, l’amour de chacun et surtout l’acceptation de chacun, c’est ce que je voulais montrer.
Etes-vous une féministe, puisqu’on le sent dans «Sira» ?
(Rires…). Mais bien sûr, et j’essaie de montrer la femme dans tous ses aspects, dans toutes ses facettes, dans ses faiblesses, dans ses forces, etc. Et en tant que femme réalisatrice, depuis très longtemps, c’étaient les hommes qui faisaient des films et qui montraient les femmes de leur manière, moi je montre les femmes d’une autre manière.
Pourquoi avoir choisi le désert de la Mauritanie qui est si loin pour le tournage de ce film ?
C’est parce que pour le tournage, il était prévu de le faire dans mon pays, au niveau de Gori au Sahel. Malheureusement la sécurité commençait à être assez difficile. Et vu que j’avais au moins une centaine de personnes et que l’armée devrait être avec nous pendant trois mois, il n’était pas judicieux de mobiliser une armée qui est en guerre pour un tournage parce qu’elle avait des priorités. Voilà pourquoi on a décidé de tourner le film en Mauritanie.
Qu’est-ce que vous voulez que le public, les cinéphiles, retiennent du film ?
Ce que je veux qu’ils retiennent, c’est d’abord notre résilience au Sahel. Bien que nous sommes touchés, nous sommes peut-être à genou, mais nous ne sommes pas tombés. Et nous allons continuer à nous battre pour sortir de cette crise et surtout que nous devons nous aimer les uns des autres, nous devons nous comprendre pour que ça cesse.
Tourner 3 mois dans le désert où il fait plus de 30 degrés à l’ombre, quelles sont les difficultés que vous avez eu à rencontrer ?
C’était un tournage très difficile, mais nous avons pu le terminer. On vivait comme des nomades dans le désert. On y a vécu 3 mois avec des températures de 50, voire 51 degrés. J’aime donner cette anecdote : on fabriquait de la glace, et on avait loué un réfrigérateur. Tout le monde sur le plateau était extasié à l’idée d’avoir de l’eau fraiche. Malheureusement, les glaces n’étaient pas pour les techniciens, encore moins pour les comédiens, mais pour la caméra. Parce qu’à 45 degrés, la caméra s’arrêtait, on ne pouvait plus tourner. Donc, il fallait lui donner de la fraicheur pour qu’on puisse tourner. Ce sont des choses que nous avons vécues dans des conditions très pénibles, mais on y a cru, on a pensé que cette histoire devrait être faite, qu’elle est importante d’être dite. Je suis contente, voire émue de voir tout ce monde venu nous soutenir, nous encourager. Mention spéciale à toute l’équipe de tournage. Merci aussi aux autorités sénégalaises d’avoir cru en ce projet, c’est une co-production à travers le Fonds de promotion de l’industrie cinématographique et audiovisuelle (Fopica). C’est une belle collaboration entre ces deux pays.
Propos recueillis par Adama Aïdara KANTÉ