L’histoire nous rattrape. L’analogie n’est pas osée, bien au contraire. Tout semble être en ordre pour nous ramener au drame encore vivace dans nos esprits, tant la douleur était profonde et les questions qui se posaient à nous sans réponses. Comment en est-on arrivé là ? Les plus téméraires se hasardent à des explications à deux balles, qui manifestement s’inscrivent soit dans le registre de la culpabilisation des candidats à «l’aventure sans fin», les capitaines de bateaux, ou de leurs parents, soit dans la justification du phénomène par des causes lointaines mal cernées, mal analysées, mal prises en charge. Il y a une mince part de vérité dans la seconde raison avancée. J’y reviendrai. Avant cela, je crois qu’il faudrait du point de vue de l’analyse, se demander si notre société écoute bien sa jeunesse. Les récents chiffres, même provisoires, rendus publics par le rapport de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (Ansd) sur le recensement général de la population, sont édifiants. Comment un pays qui a 75% de sa population jeune ou dans la phase active de sa vie peut-il se permettre d’avoir un ratio aussi faible de jeunes présents dans ses espaces de décision, par conséquent créer une césure factice entre les séniors et leurs cadets, avec lesquels ils doivent cheminer pour capitaliser une somme d’expérience apte à permettre de conjuguer le savoir-faire à jour des nouveaux enjeux technologiques, et le dynamisme, pour booster notre développement.
Le plus grand problème que notre pays a, est qu’il a cessé d’écouter ses jeunes, et ces derniers, bien entendu, se sont détournés de leurs aînés, de leurs dirigeants incapables de comprendre leurs préoccupations. Les espaces de communication et de dialogue (en famille ou ailleurs) se sont déplacés vers les réseaux sociaux où les adultes sont exclus de fait, car ils n’ont pas les éléments de langage de cette frange majoritaire de la population qui, à longueur de journées, étale ses frustrations et préoccupations sans réponses. Le Président Macky Sall a tenté son Jokko ak Macky qui a fait flop du simple fait qu’en lieu et place de l’empathie, le contact physique qui sied à ce type de dialogue, on a eu, avec le format choisi, une distance empreinte de condescendance. Le résultat en témoigne. Après avoir déroulé ce programme, les jeunes se sont retrouvés dans leurs groupes WhatsApp pour le descendre en flamme.
Il faut écouter les jeunes et cesser de les culpabiliser simplement parce qu’ils choisissent le Nicaragua, Barsa wala Barsakh, ou ailleurs. On est sidéré d’entendre parfois des responsables prétendre qu’avec les sommes que les candidats à la migration mobilisent pour leur «voyage», ils peuvent développer une activité économique et prospérer dans ce pays. Allez leur dire ça et vous verrez ! Est-ce qu’on s’est posé la question de savoir comment ils ont réuni une telle somme ? Chaque cas est un cas unique qui ne peut se prêter à une généralisation simpliste et hâtive. On se livre à l’exercice facile des solutions toutes faites sur une question dramatique, qui mérite plus de réflexion et d’écoute des jeunes et des hommes de sciences, que des conjectures. En lieu et place, on décompte des morts par centaines au quotidien, rappelant tristement le fameux roman de Albert Camus «La Peste», sans que les plus hautes autorités de ce pays ne daignent au moins compatir à travers des actes qui, somme toute, relèvent de la symbolique républicaine. Au rythme où on annonce les morts au quotidien, on va bientôt dépasser le chiffre traumatique du naufrage du Joola, avec ses 2000 morts déclarés, qui à l’époque avait relégué le Titanic loin derrière lui dans l’histoire des grandes catastrophes maritimes du siècle. L’océan engloutit encore, jour après jour, prenant le relais du désert du Sahara, jusqu’à quand ? Et pourtant, le Président Abdou Diouf, bien avant de quitter le pouvoir, dans la célèbre émission «L’Heure de Vérité» de François Henry de Virieu, sur Antenne 2 à l’époque, disait de façon prémonitoire «qu’aucune armée, aucune police ne pourra arrêter cette vague de jeunes qui allait déferler sur l’Europe, si celle-ci ne prenait les dispositions pour aider les Etats africains à régler leurs problèmes de développement». J’ai cité de mémoire.
C’est vous dire que la solution du tout sécuritaire n’est qu’un coup d’épée dans l’eau. Celui qui brave la mer au prix de sa vie n’aura pas peur d’affronter une police maritime, quels que soient ses moyens répressifs et logistiques. La seule issue qui s’impose aujourd’hui, et le temps presse, le nombre de morts que la mer rejette sur nos plages est insupportable, c’est d’aller très vite vers des assises largement inclusives de l’émigration. Le mot «inclusif» est aujourd’hui galvaudé, mais bon… il reflète le besoin du moment, car notre pays est profondément craquelé. Ces assises, à mon avis, se feront avec nos partenaires du Nord, qui y ont intérêt, mais aussi nos diplomates, nos organisations de la Société civile et nos chercheurs et leaders d’opinion dont les médias, et bien sûr nos sectoriels. Ainsi, nous pourrons dégager les grands principes qui vont guider notre politique de gestion des flux migratoires, en attendant le prochain gouvernement pour l’affiner et la mettre en œuvre durablement. Notre priorité nationale devrait être ça aujourd’hui.
Mamadou NDAO
Juriste consultant
Expert en Communication (C4D)
Diplômé des Universités de Paris 1 Panthéon Sorbonne
Montpellier 1
Liberté 6 Dakar