Le temps d’un événement sportif d’envergure nationale, son décor offre une faute de goût assez frappante. Le site naturel reflète verdure, ordures et culture. En effet, pendant que les projecteurs étaient braqués sur le spectacle royal entre Modou Lô et Ama Baldé. À l’extérieur du stade, à quelques encablures de l’arène nationale, l’ombre de déchets dangereux qui plane sur Technopôle. Le cadre d’un écosystème de plus en plus défiguré par l’Homme. Et ce, malgré la présence d’éléments des Aires Marines Communautaires Protégées.
Sans risque de se tromper, il peut représenter pour Dakar, ce que la lagune Ébrié représente pour Abidjan (capitale économique ivoirienne). En cause : avec ses 650 hectares, ses lacs, ses champs maraîchers, la Réserve naturelle urbaine de la Grande Niaye et dépendances a fière allure. Elle est comme une bouffée d’oxygène qui se détache de la pollution dakaroise. Et d’ailleurs, le site naturel reste le poumons vert de la capitale sénégalaise. Du moins avec le parc de Hann. Mais pour combien de temps encore ? Cette question, ce maraîcher sous le couvert de l’anonymat se la pose, au quotidien et depuis une décennie. Sa volonté de garder jalousement son identité est liée à la descente aux enfers du cadre de vie de la zone. En tout cas de certaine partie. » Un jour, J’ai failli me faire poignarder par un charretier » raconte avec désolation le cinquantenaire. Son seul tort, lui avoir rétorqué qu’il n’avait pas le droit de jeter des déchets composés de câbles électriques dans le décor du Technopôle. Depuis cette altercation, qui l’a visiblement marquée, le paysan s’est enfermé dans un silence profond pour sa sécurité et pendant que les charretiers récupérateurs d’ordures s’affichent sans complexe et passent à l’acte. » J’ai proposé qu’on amène des vigiles mais en vain » regrette le maraîcher, entouré de ses amis. L’un d’eux, lui emboîte le pas sur un ton plus modéré. « Nous avons peur de subir des représailles » confie l’agriculteur. Au moment de nos échanges, une crispation ambiante prend possession des lieux. ils ne veulent ni être filmés ni être photographiés.
Et pourtant, l’endroit ne manque pas de verdure ou de vie. À quelques pas, des vaches qui broutent de l’herbe et un garage mécanique. De l’autre côté, à la lisière d’un champ de choux, nous apercevons Abdoulaye Faye. Le menuisier, quadragénaire, n’a pas de bois entre ses mains mais du foin. De la nourriture pour ses moutons qui trouvent refuge dans la réserve. Lui aussi sent que ce havre de paix et de biodiversité bascule du mauvais côté. « Il y a pas très longtemps, j’ai failli en venir aux mains avec un homme. Il voulait déverser ici des déchets en caoutchouc très dangereux », fustige Abdoulaye Faye. Il s’y oppose et obtient gain de cause. Mais le menuisier le reconnaît : on n’arrête pas la mer avec ses bras. Le fléau submerge une bonne partie du site naturel.Le pire, ils frôlent les périmètres maraîchers. Des productions horticoles censées se retrouver dans le circuit commercial? » Un désastre pour le rendement de nos activités « , dit un vieux cultivateur, dans une baraque en bois, sous le regard d’un autre plus jeûne qui fait du thé. » Une quantité importante d’engrais organiques, mélangée à des tas d’immondices, a subitement pris feu » fulmine cet homme qui capitalise une vingtaine d’années d’expérience. Jusqu’à présent, l’origine du sinistre reste un mystère. Mais il suffit de remonter les escaliers qui mènent vers son périmètre agricole, pour explorer une piste. Aux abords de la route : des sacs déchirés ( des boues de vache principalement) éparpillés un peu partout. À quelques centimètres, le sol noirci de pneus brûlés. L’œuvre de ferrailleurs en quête de métal revendable renseigne le maraîcher.
Pour couronner le tout, des vitres cassées provenant d’appareils électroménagers de toute sorte. Des déchets dits D3E (Équipements Électriques et Électroniques).
Un « poison » pour la nature et la santé humaine. Pourquoi ? Ils sont composés parfois de plomb, mercure, nickel, pour ne citer que les substances les plus courantes. Jetés à l’air libre, leurs résidus exposent le site et ses acteurs (au moins 600 maraîchers). Mais le « dispositif sécuritaire » peine à barrer la route aux charretiers. Ces derniers y jettent leurs collectes ménagères (plastiques, nourritures restantes, cadavres d’animaux…) et en toile de fond, le bruit des sabots. Un constat alors que les maraîchers et pêcheurs gagnent leur vie sur les terres protégées de la Grande Niaye de Pikine.
La Grande Niaye, un Environnement protégé et agressé
Pour de nombreux charretiers collecteurs de déchets, tous les chemins mènent au Technopôle. Au rond-point vers l’arène nationale, sur la route du cimetière de Pikine, ils ont pris le pouvoir. Et ce, malgré la présence d’éléments des Aires Marines Communautaires Protégées à l’intérieur. Des gardes, au nombre de 38, positionnés au cœur et en charge de la protection de la Réserve. Une présence due au décret numéro 2019 du 29 mars 2019 portant création de la Réserve Naturelle Urbaine de la Grande Niaye de Pikine et Dépendance. « Un autre (décret) a été pris pour annuler tous les baux et titres fonciers », précise Lieutenant Abdoulaye Touré conservateur de la Réserve. Le motif : éviter le remblayage à titre d’habitation, les déversements d’ordures… afin de protéger la biodiversité. Un écosystème ouvert au monde. La preuve : en 2019, le conservateur et ses hommes « ont dénombré 239 espèces d’oiseaux ». Des espèces migratrices qui viennent parfois d’Europe lorsque les conditions sont défavorables (la neige). Le temps de se reposer, se reproduire avant de reprendre leurs ailes. Un voyage entre continents qui se porte mieux, a noté le responsable. Selon lui, le suivi assuré par le décompte mensuel permet de constater une certaine régénération de la faune avicole. Et ceci depuis 2019, date de leur installation dans la zone naturelle. » Une présence fructueuse qui peine à endiguer tout de même les maux de la pollution des eaux au sein de la Grande Niaye de Pikine.
Le danger de la pollution et le défi de la dépollution
Pour bien observer les largesses hydriques, le conservateur nous invite à prendre des escaliers. Ceux du mirador. Un lieu d’observation à partir duquel nous pouvons apercevoir le reposoir aux oiseaux. Aux alentours de l’habitat artificiel, le lac fait rayonner la flore. Derrière cet éclat se cache une réalité. celle de la pollution des eaux de la Grande Niaye. « Des études faites ont permis de faire le constat » affirme le conservateur Abdoulaye Touré. Ce dernier livre en même temps les sources du mal. Au banc des accusés : « les eaux usées de l’ONAS, l’utilisation de produits phytosanitaires de la part de maraîchers et la présence des déchets… ». Danger ! et interrogations : les poissons et légumes « contaminés » se retrouvent-ils dans nos assiettes ? En réponse à cette question, le conservateur apporte une précision. « Toutes les eaux ne sont pas forcément polluées. » Mais l’équation écologique et sanitaire se pose avec acuité. Des pistes de solutions avancées. Professeur Abdoulaye Fall, Chercheur en Environnement et Gestion des déchets en donne quelques-unes. Il propose tout d’abord de couper les sources de pollution. C’est-à-dire les rejets de déchets, d’eaux usées ou encore l’utilisation des motopompes de la part de certains maraîchers. À propos du dernier élément cité, l’expert s’en explique. Il constate que ces engins fonctionnent avec du gasoil ou de l’essence. Des produits qui contiennent de « métaux lourds ». L’autre piste à explorer : l’aménagement pour conserver et protéger l’écosystème de la Grande Niaye. C’est pourquoi le Professeur Abdoulaye Fall mise notamment sur un mur de clôture pour limiter l’accès sans en faire « un coffre-fort ». L’idée est d’aménager un site naturel attractif et écologique. L’enseignant pense que pour le valoriser « il est important de sensibiliser la population et d’y construire des écolodges». Un modèle d’écotourisme loin de déplaire à l’Union des Organisations des Producteurs de la Vallée des Niayes. Pape Diagne, son représentant nous fait découvrir leur bassin piscicole. En chemise et pantalon, le sexagénaire tient entre ses mains un petit pot rempli d’aliments flottants. Les poissons s’agitent en surface dès qu’il en jette dans le bassin. « Au total, nous avons 500 sujets avec une capacité de production de 6 à 7 tonnes chaque campagne » , renseigne Pape Diagne. Mais leurs filets se perdent parfois dans des difficultés. Il s’agit de la disponibilité de l’aliment, d’oxygénation de l’eau et de financement.
La menace de l’urbanisation
Souvenez-vous ! En 2013, la polémique autour de la construction de l’arène nationale (7 hectares) au technopôle. Des Organisations Non Gouvernementales ont porté le combat et ont marqué leur opposition. Elles ont pointé du doigt un obstacle « au captage des eaux de ruissellement et aux échanges hydriques souterrains entre diverses zones habitées de la ville de Dakar ». Une lapalissade de le rappeler ! Elles ont « chuté » face à la détermination du ministre des Sports d’alors (Mbagnick Ndiaye) et des acteurs de l’arène. Dix ans après, les habitations poussent comme des champignons. Des bâtis dans une zone humide qui pose « la question de l’eau » souligne Docteur Adrien Coly, observateur de la Grande Niaye, et spécialiste des ressources hydriques. Selon l’Enseignant-Chercheur Technopôle est devenu une « zone amputée ». il donne les raisons. D’après lui « des aménagements ont privé la zone de l’eau de bassins ou de mer qui provenait de la baie de Hann. Des eaux des grandes marées et qui facilitent le développement de l’écosystème des mangroves ». Il note une autre équation écologique : «l’assèchement progressif parce que les dunes ne sont plus alimentées par les eaux de pluie à cause de l’urbanisation. Le sol a été imperméabilisé. La conséquence, c’est l’inondation des quartiers sans oublier les eaux usées déversées dans le site ». Urbanisation, zone industrielle, rejets de déchets solides, pollution des eaux. Autant de maux soulignés dans un contexte où les tracteurs continuent de résonner sur place. Cette fois-ci, il s’agit du projet d’extension du cimetière de Pikine. Une vieille doléance d’une bonne partie des populations. Le site actuel (cimetière) étant saturé, une exigence pour enterrer sans casse-tête des disparus. Une position défendue par le collectif dénommé « Sama Suuf Ma Yokk Sama Armeel » (ma terre pour augmenter mon cimetière). Un combat noble pour les morts qui n’éclipse pas les interrogations autour de la survie d’un écosystème. C’est-à-dire la Grande Niaye, une merveille écologique en sursis ?
Pape Ibrahima Ndiaye
Adama Aïdara Kante
Serigne Saliou Dème
Avec CFI- Développement Médias ( Projet Terra Africa)