Auteur du recours ayant invalidé la candidature de Karim Wade, Thierno Alassane Sall, 61 ans, vient de signer une page inédite dans les annales de l’histoire politique du Sénégal. Il envisage de saisir le Conseil constitutionnel après que le président de la République a refusé de fixer la date de l’élection. Va- t-il faire «tomber» Macky Sall aussi ? Candidat à la Présidentielle, le leader de la République des valeurs (Rv), n’a pourtant, selon Bès bi Le Jour, fait que rafraichir les mémoires sur son caractère d’homme intransigeant.
De loin, se dessine sa silhouette au milieu de la foule surexcitée. Soudain, retentit une rafale de tirs de lacrymogènes. Les choses s’emballent dans une atmosphère irrespirable. Le rassemblement dégénère. S’enchaine la riposte des jeunes manifestants munis de pierres. Lourdement armées, des forces de l’ordre tentent d’étouffer le cri des forces vives contre le report de la Présidentielle. Ça crépite dans tous les sens. Ceinturé par une poignée d’hommes aux bras lourds, il se faufile dans la masse, progresse, le drapeau tricolore flottant sur sa main droite. Dans une chemise bleue barrée de traits blanches, lunettes clai- res sur le visage en sueur, il continue sa marche en zig-zag suivi par quelques intrépides journalistes assoiffés d’interviews. «Ce qui se trame n’est rien d’autre qu’un coup d’Etat constitutionnel. C’est une forfaiture !», s’époumone Thierno Alassane Sall. Pendant ce cafouillage, la plupart des leaders de l’opposition en lice se sont subitement évaporés laissant derrière eux des militants prêts au sacrifice ultime.
Thierno à l’aventure ambiguë
Né le 30 novembre 1963, Thierno, comme l’appelle les intimes, n’est pas le pur produit d’un destin tout tracé. Fils d’un imam, le natif de Thiès s’est abreuvé, dès son bas âge, à la source d’une éducation basée sur l’islam et ses valeurs. C’est l’inspiration de la République des valeurs ! À l’instar de ses frères et sœurs, Thierno Alassane Sall, que tout destinait à un avenir de prédicateur, se verra entre quatre murs légués par Jules Ferry. «Je suis né et j’ai grandi dans une maison familiale qui faisait office de Daara se situant en face d’une mosquée. Dès le bas âge, on était appelé à mémoriser des versets coraniques. Mais j’étais pressé de m’inscrire moi aussi à l’école française à l’image de mes camarades de quartier que j’enviais pour leurs sacs et accoutrement. Parce que chez moi, les enfants n’allaient pas à l’école», raconte le fils de Amadou Tidiane dans «Confidence» de Senepeople. Puis, de l’école primaire des Hlm Thiès jusqu’au lycée Malick Sy de la même ville, le jeune Thierno se révélera un prodige. Il est de cette race d’homme dont on fait les timoniers et symbolique de la clairvoyance. L’école de Charlemagne aura révélé un génie précoce, un fort en tout. Dans cette saga intellectuelle, il va rafler à deux reprises le Concours général en Philosophie et en Français avant de réussir le Bac et de s’envoler pour l’École nationale d’ingénieurs de Sfax, en Tunisie.
Les valeurs contre les voleurs !
De retour au Sénégal, TAS, devenu ingénieur en télécommunications et en aviation civile, va travailler pendant 22 ans à l’Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique et à Madagascar (Asecna). Intransigeant sur des valeurs telles la droiture et l’intégrité, l’homme, à l’image des figures historiques au même tempérament, va vite se heurter au monde à l’envers.
Nous sommes en 2007 lorsque l’ingénieur, implacable sur ses principes, se frotte à Farba Senghor, tout puissant ministre en charge des Transports aériens. Ramant à contre-courant des velléités du régime libéral qui affichait une volonté de se retirer de la si stratégique Agence, Thierno est écarté de la représentation de l’Asecna au Sénégal. Aux allures de représailles, il est bouté vers les Comores, archipel isolé dans l’océan Indien. «Farba Senghor, surnommé l’élément hors du commun, était un de ces ministres que le Président Abdoulaye Wade avait décidé d’infliger au Sénégal pour lui faire expier quelques crimes connus de lui seul. De nombreux cadres sénégalais émérites furent maltraités et souvent humiliés par Farba Senghor…», a-t-il relaté dans son ouvrage «Le protocole de l’Elysée : Confidences d’un ancien ministre sénégalais du pétrole», paru en septembre 2020. Voilà qui en fait un «piètre» politicien. Parce que la politique de chez nous, refuse les valeurs. Et promeut les voleurs !
Un Edward Snowden version tropicale
Crâne toujours poli, taille svelte, TAS, comme le surnomme la presse par ses initiales, n’a pas défié que le régime libéral. C’est dire que s’il n’a pas la renommée d’un Edward Snowden ou traqué pour ses révélations comme un Julian Assange, sa trajectoire est toutefois digne d’un lanceur d’alerte. Et Macky Sall, avec qui il a cheminé, aura aussi payé les frais de sa posture inflexible. Nommé par ce dernier, directeur général de l’Autorité de régulation des télécommunications et des postes (Artp) en avril 2012, Thierno Alassane a d’abord fait parler de lui par un acte plus qu’orthodoxe sous nos cieux. Il prit sur lui de réduire son salaire mensuel de 14 millions de francs à 5 millions. Un clin d’œil de rappel peut-être à l’attention du chef, théoricien de la «gouvernance sobre et vertueuse» que l’ «hubris» du pouvoir venait de mettre à rude épreuve. Mais la «vertu de trop», c’est quand celui qui fut, entre octobre 2012 et juillet 2014, ministre des Infrastructures, des transports terrestres et du désenclavement osera désavouer le dépositaire du décret présidentiel.
Sa guerre Total avec Macky Sall
En charge de l’Energie au sein du gouvernement, il refuse, en 2017, d’apposer sa signature sur deux contrats petro-gaziers en faveur de la multinationale française, Total. En coulisses, dans le secret des murs du Palais, l’alors coordonnateur de la Convergence des cadres républicains (Ccr) se rebelle face à la volonté du maître des lieux. «Quelle urgence pour le Sénégal à signer une offre aussi infamante qui, en cas de découvertes, laisserait au peuple une portion congrue de ses ressources naturelles ? Pour faire plaisir à Hollande avant son départ de l’Elysée ? Pourquoi cette incapacité presqu’atavique des deux têtes de l’Exécutif à exiger que Total s’aligne au moins sur les offres concurrentielles, ce qui est moins lorsqu’on dispose de propositions de Bp et Kosmos ou de Woodside et Far ?», interroge-t-il, plus tard, dans son brûlot sous titré «Confidences d’un ancien ministre sénégalais du pétrole». Au cœur d’un tourbillon médiatique à l’époque, cette histoire, qui avait pris les proportions d’un scandale d’Etat, entraine sur-le- champ son départ du gouvernement. Démission ou limogeage ? Entre l’ancien ministre, qui parle d’une démission écrite pour être remise à qui de droit et le camp d’en face, qui évoque une défenestration, les deux versions s’affrontent éternellement. Entré en dissidence avec le pouvoir en place, TAS, devenu entre-temps leader de la République des valeurs (Rv), incarne l’aile dure de l’opposition.
Un discours de plus en plus audible
Son discours commence, apparemment, à être audible, alors qu’il n’a jamais réussi à s’imposer dans son fief, Thiès, devant un Idrissa Seck et a été dribblé par Yewwi askan wi. Le politiquement correct marche difficilement dans ce pays. Et même candidat à la Présidentielle, l’homme, qui n’épargne même pas un Sonko, symbole de la radicalité contre le pouvoir, n’a pas hésité à faucher Karim Wade dès le top de départ de la course vers le Palais. Car, sur la question de la double nationalité, c’est son recours qui est à l’origine de l’invalidation de la candidature de Wade-fils par le Conseil constitutionnel. Voici l’homme par qui tout est arrivé !
Falilou MBALLO