On ne le répétera jamais assez : «Ça n’arrive pas qu’aux autres». La crise électorale ivoirienne de 2010-2011 a fait officiellement 3248 morts, des milliers de blessés et plus d’un million de personnes qui ont dû quitter leur foyer pour se réfugier dans des régions moins affectées ou encore dans les pays limitrophes afin d’échapper à la violence meurtrière et aux exactions. Cette crise était le résultat des manœuvres d’un président qui voulait conserver le pouvoir à tout prix, alors qu’il réunissait toutes les conditions pour sortir par la grande porte. Il faut apprendre des expériences vécues ailleurs. Les mêmes causes produisent souvent les mêmes effets : le Sénégal aussi peut basculer dans le chaos, si on n’y prend pas garde. Le Président Macky Sall déroule une stratégie grosse de risques, dont la finalité est de conserver le pouvoir, a priori non pas pour lui-même, mais pour son camp. Chercher à conserver le pouvoir n’est pas un problème en soi ; en revanche, les moyens qu’il utilise constituent une grande menace pour la paix. Le Sénégal ne mérite pas ce sort qu’il lui impose alors que lui aussi, à l’instar de son homologue ivoirien de l’époque, avait des atouts pour terminer ses mandats de la plus belle des manières, même si ces atouts s’amenuisent de plus en plus, en raison des actes inopportuns qu’il ne cesse de poser.
Il est évident que la décision de reporter les élections est intrinsèquement liée à l’état des rapports de forces à la veille du lancement de la campagne électorale, au début du mois de février 2024. En effet, 90 sur les 93 candidats, qui avaient déposé leur dossier au Conseil Constitutionnel (CC), se réclamaient, d’une manière ou d’une autre, de l’opposition. La posture des 17 candidats sur les 20 retenus en fin de compte (avant le retrait de Mme Wardini) semblait confirmer cette configuration. Dans ce même temps, le candidat de Benno Bokk Yakaar était d’autant plus isolé qu’il avait, en sus, des adversaires farouches au sein de son propre camp. En outre, les initiatives prises par le président depuis le 03 février 2024 soulève la question de savoir si lui-même n’a pas regretté le choix porté sur Amadou Bâ. En tout état de cause, les conditions d’une défaite au second tour étaient réunies. Le Président Macky Sall est dans la logique d’essayer d’inverser cette tendance, en courtisant les recalés, qu’il sait frustrés par les manquements enregistrés lors du contrôle des parrainages. L’enjeu est de diviser le bloc hétérogène de l’opposition en gagnant la sympathie d’une partie des frustrés. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre le «dialogue inclusif» dont l’objectif est de mettre face à face, d’une part, «les recalés», qui veulent la reprise de tout le processus électoral, soutenus en cela par des membres de l’APR qui manifestement veulent changer de candidat, et, d’autre part, «les validés», qui exigent la poursuite du processus, conformément aux directives du CC. Deux positions inconciliables. En ayant l’intelligence de refuser de participer à ce dialogue, les candidats retenus évitent un conflit qui ne ferait qu’attiser le brasier et porter préjudice au bloc de l’opposition.
La question à poser est la suivante : le jeu du président en vaut-il la chandelle ? Celui qui a la mission régalienne d’assurer la paix et le respect des règles, a-t-il le droit de violer la loi encore et encore et d’hypothéquer l’équilibre social, au nom de stratégies et de tactiques électoralistes ? A l’initiative du PDS, avec sa bénédiction, dans le cadre d’une alliance de raison, le Sénégal passe d’une crise institutionnelle artificielle à une crise électorale réelle.
Que faire, pour sortir de cet imbroglio ?
Le préalable, dont dépend tout le reste (excusez le pléonasme), est que le président, détenteur de la solution, fasse preuve de sincérité et de bonne volonté, en respectant la loi et en mettant un terme à sa préjudiciable stratégie, au nom des intérêts supérieurs de notre pays qu’il a travaillé à construire pendant douze ans. Pour ce faire, il doit se méfier des «faucons» du palais et du parlement, car demain il sera seul comptable de ce qui peut arriver. Nul n’est dupe : l’initiative du PDS serait morte dans l’œuf si elle n’avait pas bénéficié de l’agrément du Chef de l’Etat et d’une partie de l’APR. Le CC a arbitré, validé 19 candidatures et demandé aux autorités compétentes de poursuivre le processus électoral en fixant une date pour le scrutin. Aux termes de la loi, ces décisions sont irréversibles. Comme il l’avait fait pour retenir la date du 25 février 2024 pour la tenue des élections (date rendue caduque), il doit procéder de la même sorte pour convoquer le corps électoral. Nul besoin de grand-messe qui ne peut être que contre-productive. Il doit être clair pour tous qu’il est absolument impossible d’ajouter un seul candidat aux 19 confirmés. Ce nombre peut diminuer, en cas de retrait, par exemple, comme cela a été le cas avec Mme Wardini, mais il ne peut plus augmenter.
Pour aller de l’avant, il faut reconnaître qu’il est devenu impossible de boucler toute la procédure électorale avant le 02 avril 2024. Cela fait malheureusement partie de la série de faits accomplis devant lesquels le Chef de l’Etat a mis les Sénégalais depuis le 03 février.
Je propose une programmation des élections, qui couvrirait la période du 10 mars (date de début de la campagne électorale) au 15 avril 2024 (date maximale pour la passation du pouvoir au président élu). Le dimanche 31 mars serait le jour du scrutin pour le premier tour. Ce calendrier inclurait les durées de campagne électorale prévues par la loi, y compris pour un éventuel second tour. La période légale requise pour la convocation des électeurs est respectée dans la mesure où l’annulation du décret et de la loi pour le report par le CC signifie que le processus lancé depuis plusieurs mois reste valable. L’idée est d’éviter, par exemple, de toucher à la loi organique fixant la durée de la campagne électorale (3 semaines pour le premier tour, etc.). De manière générale, cette proposition permet de respecter la constitution.
Entre le 02, date de la fin de son mandat, et le 15 avril 2024, date de l’installation du nouveau Chef d’Etat, le Président Macky Sall doit rester pour expédier les affaires courantes (une interprétation plausible de l’article 36-2 de la constitution). Toute tentative de désigner quelqu’un d’autre pour ce laps de temps (moins de quinze jours) ne ferait que compliquer davantage la situation.
J’en appelle au sens patriotique des recalés. Il est indéniable que le contrôle des parrainages leur a fait subir d’énormes préjudices. Il faut en prendre acte et accepter les erreurs de l’arbitre (le CC). Que ces manquements servent de leçon pour le futur. La paix en vaut le sacrifice.
Je propose aux 19 candidats retenus d’écrire, chacun, une lettre ouverte, à diffuser largement dans les médias, pour prendre le peuple à témoin en réitérant le serment qu’ils sont exclusivement de nationalité sénégalaise.
Pour un Sénégal de paix, rendons le pouvoir à la Raison !
Diom Wouro BÂ