Ça dépend ! Au rythme des évènements qui secouent leur pays, une caste de politiciens et autres se repèrent. Leurs nouveaux principes s’ordonnent. Leurs affidés approuvent. Parfois sans honte, c’est même avec fierté qu’ils se noient dans des justifications qui tonnent comme un chant de gloire d’un crime. Ils se divisent davantage dans de vains bavardages avec une audace qui défie la raison, les règles de vie des braves populations qui souffrent à assumer leurs belles âmes. Et le Sénégal est aujourd’hui «engourdi dans une sorte de non-temps». Il est devenu une terre où l’on ne cultive plus que le monstre à opposer à l’autre. Et qu’arrive le moment de la récolte de cette hideur que d’aucuns magnifient comme un héroïsme dont il serait difficile d’en guérir. Ainsi, certains ne se retrouvent-ils pas dans ces mots de Jean Genet : «Je parle dans le vide et dans le noir, cependant, fut-ce pour moi seul, je veux encore insulter les insulteurs.»
Dans une volonté de poursuivre un destin contraire aux règles, ils recourent à la force et à l’astuce. Croyant sortir un bien du mal ou du mal faire émerger un bien. Avec un réalisme chimérique, une marche éclatée. Nécessairement pluriel, des coalitions et autres groupements qui ne font point force et ne sont point unis. Plutôt des cadres communicationnels qui ajoutent à une nébuleuse. Des rumeurs et autres discours de toutes sortes. «Au Sénégal, puisque Dieu nous dota d’un don de fabulation, “Radio-cancan” marche à pleines ondes, mais tout cela n’est pas sérieux», disait le président Léopold Sédar Senghor pour démentir des rumeurs de remaniement. Et, aujourd’hui, une élection, mille agendas ! Un risque plane. Peut-être servirait-il, avec recul, de réécouter le message à la nation de Senghor. C’était le 18 février 1963, deux mois après la fameuse crise politique de 1962, à la veille du référendum du 3 mars 1963. Il disait : «Le Sénégal venait de sortir de la nuit la plus longue de son histoire. De la nuit la plus douloureuse aussi, la plus dramatique, qui faillit voir le sang couler, les larmes couvrir le visage de nos femmes et de nos enfants, le deuil s’abattre tel oiseau de proie, sur des milliers de familles, bref qui faillit voir nos espérances anéanties, nos perspectives bouchées, notre Sénégal rayé de la carte des pays libres».
Senghor et la tradition sénégalaise de démocratie
L’horizon est encore couvert, l’avenir ricane d’angoisse, la mort a visité plus d’un. Sous terre, des gémissements de défunts… Face aux enjeux du moment, rien qui interpelle pour conjurer le danger, éviter le pire… Au nom de la démocratie qu’ils se réclament, leurs volontés ne concourent plus pour la grâce d’un pays. Et l’idéal s’enfuit. Il n’est, peut-être, plus quand ces mots de Jean de la Fontaine avait un sens : «La dispute est d’un grand secours. Sans elle, on s’ennuie toujours.» Réécoutons Senghor dans son message du 18 février 1963 : «(… ) À la vérité, la démocratie c’est l’application à l’échelle nationale de la méthode de la palabre, du dialogue qui guide la vie de nos villages. Je veux dire une libre, loyale et franche discussion qui permet de dégager à la majorité, une ligne de conduite applicable à tous, admise et respectée par tous, y compris la minorité. Celui qui a mission d’appliquer la ligne de conduite ainsi définie détient sa mission de l’ensemble des habitants du village, qui peuvent, au moment où il a failli, lui retirer leur confiance. Ainsi vit le Sénégal depuis des siècles. Notre rôle était, demeure, de maintenir la tradition sénégalaise de démocratie.» Qu’en reste-t-il encore ? Pourtant, en bien ou en mal, de façon consciente ou pas, le «senghorisme» continue de faire des émules, des ruptures – retrouvailles.
À des jeunes rencontrés à Saint-Louis après la création du Bds (Bloc démocratique sénégalais), Senghor dit sa confiance. «(…) Il ajouta, l’air sérieux et grave : “cependant, camarades, je dois vous dire que le jour où vous autorisez Boubacar Obèye Diop (qui deviendra ministre, ndlr) à adhérer au Bds, ce jour-là je démissionnerai du parti”», écrit Magatte Lô dans L’heure du choix. Par ailleurs, une rupture avec son mentor en politique, Me Lamine Guèye, qu’il retrouvera plus tard. Par lettre du 27 septembre 1948, Senghor démissionnait de la Sfio (Section française de l’Internationale ouvrière) qu’il «accuse de n’être ni démocratique dans ses structures ni socialiste en Afrique…» Entre autres, dénonçait-il, «la réintégration dans le parti de Djim Guèye, par le sommet, alors que celui-ci avait été exclu par la base, condamne les irrégularités commises dans la désignation des candidats pour l’Assemblée de l’Union française, ainsi que le vote du parti socialiste contre l’égalité de traitement entre anciens combattants sénégalais et métropolitains».
Assanne SAADA