«Le Conseil constitutionnel invalide le report de la Présidentielle». Une phrase, neuf mots, des millions de Sénégalais soulagés et des décennies de tradition démocratique maintenues. Cette décision historique élève la juridiction au rang de sentinelle de la démocratie. Pourtant, le chemin qui a mené à ce moment historique fut long et cahoteux. Bès bi vous emporte dans un voyage temporel qui inclut la genèse de cette institution, son enfance tourmentée, sa vie d’adulte mouvementée et enfin l’avènement de l’âge de la sagesse que fait espérer cette décision audacieuse.
Le Président Abdou Diouf a rappelé récemment dans une lettre ouverte qu’il était à l’origine de la création du Conseil constitutionnel. Il donne plus de détails dans ses Mémoires. Tout serait parti d’un discours prononcé en 1991 par Assane Bassirou Diouf qui était alors Président de la Cour suprême. De l’avis du président Diouf, cette élocution était «irresponsable, superficielle et irrespectueuse» envers le ministre de la Justice Serigne Lamine Diop et appelait ouvertement à la suppression de ce ministère régalien. Le même après-midi, Philippe Bas, Conseiller juridique du Président lui fait une proposition : «J’envisageais depuis quelque temps de vous proposer une réforme judiciaire. Ce qui s’est passé ce matin me conforte dans l’idée qu’il faut faire quelque chose. Je propose la création d’un Conseil constitutionnel, d’une Cour de cassation et d’un Conseil d’État. C’est plus clair et ce sera plus efficace.» Une recommandation tout de suite acceptée. En simple, le Conseil constitutionnel serait le fruit d’un discours «déplacé» du Président de la Cour suprême auquel succèdent des conseils «plus avisés» d’un Conseiller juridique français.
Une institution pour éviter les contestations électorales
Un ancien Vice-Président du Conseil constitutionnel fournit une explication un peu plus solennelle sur l’origine de l’institution. Dans les Actes d’un colloque co-organisé par le CC, l’Harmattan et la Fondation Konrad Adenauer, le Professeur Babacar Kanté utilise cette formule poétique : «Le Conseil constitutionnel est le résultat d’une fécondation de la politique par le droit.» En d’autres termes, le CC est le recours au Droit dans la résolution du problème politique que constituent les contestations électorales. Les élections de 1983 et de 1988 ont conduit à des protestations émaillées de violences et il fallait à tout prix éviter que l’histoire ne se répète pour les élections de 1993. La première initiative prise en ce sens était la mise en place en 1992 d’un code électoral consensuel censé garantir l’intégrité des élections. Pour plus de transparence, les candidats auraient des représentants dans toutes les étapes du processus. Aussi, il y a eu la réforme judiciaire de 1992 qui substitue à la toute puissante Cour suprême trois institutions : La Cour de cassation, le Conseil d’Etat et le Conseil constitutionnel. À cette dernière conçue pour être plus autonome et plus spécialisée que la défunte Cour suprême, on confie la responsabilité de juger de la constitutionnalité des lois et de la régularité des élections. En plus simple, dans la relation qui unit les citoyens à leurs gouvernants (ex : le président) et à leurs représentants (ex : les députés), le CC s’assure que ces derniers sont élus démocratiquement et qu’ils exercent le pouvoir qui leur est confié dans le respect de la volonté et l’intérêt général (la Constitution). Ça c’est l’idéal visé, comme on le verra, la réalité est plus nuancée.
Marly DIALLO