Les victimes de l’ancien dictateur tchadien Hissène Habré ont commencé à recevoir une indemnisation de 10 milliards de francs CFA (soit 15,2 millions d’euros). Habré, qui a dirigé le Tchad de 1982 à 1990, a été condamné à la prison à vie pour crimes contre l’humanité en 2016 par un tribunal sénégalais soutenu par l’Union africaine (UA) et y est décédé en août 2021.
Les paiements ont commencé le 23 février à la suite d’une réunion entre le président Mahamat Idriss Déby Itno et trois associations de victimes. Ils seront versés aux 10 700 victimes, y compris les survivants des prisons et les familles de ceux qui ont été tués sous Habré ; chacune recevra 925 000 francs CFA (soit 1 410 euros). Cela représente moins de 10 % de ce que le tribunal sénégalais et un autre tribunal tchadien en 2015 avaient accordé aux victimes.
« Les victimes de Habré se sont battues sans relâche pendant 25 ans pour que leur dictateur et ses sbires soient traduits en justice. Cet argent ne représente qu’une petite fraction de ce qui leur a été accordé par les tribunaux, et beaucoup, beaucoup moins que ce à quoi elles ont droit en vertu du droit international », a déclaré Reed Brody, de la Commission Internationale de Juristes, qui travaille avec les victimes depuis 1999. « Mais pour de nombreuses victimes qui ont attendu si longtemps et qui sont dans une situation désespérée, ce paiement fera une énorme différence dans leurs vies ».
La cour d’appel des Chambres africaines extraordinaires à Dakar qui a confirmé la condamnation de Habré en avril 2017 a accordé 82 milliards de francs CFA (soit 125 millions d’euros) aux victimes de Habré – 20 millions de francs CFA (soit 30 500 euros) pour chaque victime de viol et d’esclavage sexuel, 15 millions de francs CFA (soit 22 900 euros) pour chaque victime de torture et de détention arbitraire et 10 millions de francs CFA (soit 15 265 euros) pour les familles des victimes tuées. Le tribunal a chargé un fonds fiduciaire de l’UA de mobiliser cet argent en recherchant les biens de Habré et en sollicitant des contributions. Bien que l’UA ait alloué 5 millions de dollars au fonds fiduciaire, l’UA et le Tchad ne sont jamais parvenus à un accord permettant au fonds de commencer son travail au Tchad.
Dans un autre procès au Tchad, la cour criminelle de Ndjaména a condamné le 25 mars 2015, 20 agents de sécurité sous l’ère Habré pour meurtre et torture et a accordé 75 milliards de francs CFA (soit 114 millions d’euros) de réparations aux victimes, en ordonnant au gouvernement de payer la moitié et aux agents condamnés l’autre moitié.
Les paiements de 1 409 euros sont effectués de manière échelonnée aux victimes dans trois agences bancaires de la capitale N’Djamena, avant d’être transférés dans des agences provinciales. Les associations de victimes ont relevé de nombreuses erreurs dans la liste des bénéficiaires.
La présidence tchadienne a rapporté que, lors de leur réunion du 22 février, les victimes ont « humblement demandé au président de la République de réhabiliter » Habré. Cela a conduit de nombreux observateurs à supposer que le Président avait court-circuité le processus de réparation de l’UA et avancé à la hâte avec des listes incorrectes afin de gagner l’approbation des victimes pour le rapatriement de la dépouille mortelle de Habré, et consolider son soutien de la part des partisans de Habré. Cependant, certains représentants des victimes contestent une réhabilitation de l’ancien dictateur avant même que les victimes n’aient reçu une indemnisation complète et ont promis de continuer à faire campagne pour obtenir ce que les tribunaux ont ordonné.
« Mon propre père a été tué par Hissène Habré et je ne sais même pas où il a été enterré », a déclaré Abdoulaye Dam Pierre, président de l’Association des victimes des crimes et répressions du régime de Hissène Habré (AVCRHH), qui a également été prisonnier sous le régime Habré. « Il faut indemniser pleinement les victimes pour que les cœurs soient consolés, pour que la réconciliation prenne racine. Ce n’est qu’ensuite que nous envisagerons la possibilité de ramener la dépouille d’Hissène Habré. Nous ne devons pas remuer le couteau dans la plaie ».
Le régime à parti unique de Hissène Habré (1982-1990) a été marqué par des atrocités massives et généralisées, dont des répressions ethniques ciblées. Les documents de l’ancienne police politique (Direction de la Documentation et de la Sécurité, DDS) retrouvés par Human Rights Watch en 2001 ont révélé les noms de 1 208 personnes exécutées ou décédées en détention et de 12 321 victimes de violations des droits humains. Habré a été destitué en 1990 par Idriss Déby Itno, père de l’actuel président, et s’est ensuite réfugié au Sénégal. Dans son verdict de 2015, la cour tchadienne a également enjoint le Gouvernement d’ériger un monument en hommage aux personnes tuées sous le régime Habré, et de créer un musée au sein du quartier général de la DDS où les détenus étaient torturés. Le Gouvernement n’a exécuté aucune de ces décisions à ce jour. En janvier 2024, le Gouvernement a rasé l’ancien siège de la police politique, tout en épargnant la tristement célèbre prison, la « Piscine ».
Le droit international exige des États qu’ils accordent aux victimes de violations des droits humaines des réparations proportionnelles au préjudice subi.