Vétéran des différents gouvernements mis en place depuis 2013, Sidiki Kaba, 74 ans, remplace Amadou Ba. Bés bi dresse le profil du «Dougoutigui» de Tamba, 5ème Premier ministre du président Macky Sall.
Dans le milieu très étroit des voix fortes, puissantes, graves et séduisantes des avocats, il faisait partie des «élus». Un peu comme Me Boucounta Diallo. Sidiki Kaba sera, comme un autre avocat, Me Souleymane Ndéné Ndiaye sous Wade, dernier Premier ministre de Macky Sall. Il entendra désormais Monsieur le Premier ministre. Mais ce sera de courte durée, puisqu’il sera emporté par Macky Sall sur le départ. Mais on n’en est pas encore là ! Avocat de profession et fervent défenseur des droits humains qui a muté vers la politique, le ministre de l’Intérieur jusqu’au 6 mars 2024 – il n’aura pas fait 6 mois à ce poste -, il a capitalisé 44 ans d’expérience au barreau. Né le 21 août 1950, le remplaçant de Amadou Ba à la Primature est diplômé d’une Licence en droit, en philosophie et en littérature moderne de l’Université d’Abidjan. Il obtient une maîtrise en droit des affaires de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar.
«Dougoutigui», avocat des cas compliqués
Celui que ses compatriotes de Tambacounda, sa ville de naissance, surnom- ment «Dougoutigui» (le chef du terroir) en langue bambara s’est spécialisé dès le début de sa carrière dans la défense des droits humains. Comme son regretté confrère français disparu Jacques Vergès, le brillant Sidiki Kaba a parfois été «l’avocat des causes perdues» pour avoir défendu le couple présidentiel ivoirien, Laurent et Simone Gbagbo ainsi que 120 membres du Front populaire ivoirien (Fpi). Alassane Ouattara, Idrissa Seck, Alpha Condé, Abdoulaye Wade, son fils Karim ainsi que les victimes du régime de Hissène Habré ont été également ses clients. Parce que l’homme avait cette casquette de droits-de-l’hommiste influent. Humanitaire dans l’âme, l’ancien ministre de la Justice de Macky Sall s’est aussi heurté à la réalité du pouvoir. Obligé, par solidarité gouvernementale de défendre des «bourreaux» dans des répressions ou auteurs d’actes répréhensibles, loin des «victimes». Les organisations de défense des droits de l’homme n’ont eu de cesse de le lui rappeler. C’est que Me Sidiki Kaba avait greffé aussi dans son combat la lutte contre l’excision, les violences faites aux femmes, la liberté de la presse, l’abolition de la peine de mort et la répression des homosexuels.
L’éloquence incarnée, le politique discret
Certaines personnes qui ont pratiqué l’enfant de Quartier Dépôt, le premier quartier de Tamba, le présentent comme «un avocat teigneux, qui défendait très bien ses clients». Militant de Amnesty International en 1979, Maître Kaba fut cofondateur de l’Union inter-africaine des avocats (1982), membre du conseil d’administration du barreau du Sénégal (1985-2000), vice-président (1987-1995) puis président (1995-2001) de l’Organisation nationale de défense des droits de l’Homme. Il est le premier africain à exercer les fonctions de président de la Fidh. Et il n’a pas été professeur de français au collège Aké Loba d’Abidjan de 1975 à 1978 pour rien ! Ses discours sont empreints de mots recherchés et soutenus enveloppés dans un lyrisme accrocheur. Sa présentation de Robert Badinter à Dakar était une célébration de l’éloquence. Sidiki Kaba va faire son entrée en politique quelques temps après sa nomination comme ministre de la Justice en 2013 dans le gouvernement de Aminata Touré. Tête de liste lors des élections législatives de 2017, il remporte plus de 55 % des suffrages. Mais, en politique, il perd son verbe. Plutôt, il préfère la discrétion. Même s’il s’impose à Tamba dans les différentes élections, il peine encore à porter la robe de la politique des coups et des que- relles. Il retourne ainsi au gouvernement pour occuper le portefeuille de ministre des Affaires étrangères. Sidiki Kaba encaisse de plus en plus les critiques d’activistes et acteurs de la société civile africaine qui lui reprochent son revirement lors des violences notées avec les événements de juin 2023.
La confiance du Président Sall
Par ailleurs le nouveau Premier ministre, qui risque d’être le plus éphémère de l’histoire politique du Sénégal après Moustapha Niasse nommé en 1983 pour 26 jours en remplacement de Habib Thiam, est aussi un écrivain. Il est l’auteur de «La justice universelle en question : Justice de blancs contre les autres ?» Ou encore, «L’Observatoire national des élections (Onel) 1997», ancêtre de la Cena. Voilà qui connaît aussi l’organisation des élections. «Le grand défi pour lui aujourd’hui est l’organisation d’une élection présidentielle, transparente, libre, démocratique et honnête. Sans contentieux sérieux pouvant remettre en cause la sincérité du scrutin», a posté Aliou Tine sur X, s’adressant à Sidiki Kaba. A moins qu’il cumule le poste de Pm et de ministre de l’Intérieur. Macky semble n’avoir jamais voulu fragiliser l’homme qui a le privilège d’occuper les postes de souveraineté : Justice, Forces armées, Affaires étrangères, Intérieur. Des domaines réservés pour un homme réservé. «Aujourd’hui, je suis nommé Premier ministre. Je voudrais remercier mes parents pour l’éducation qu’ils m’ont donné et qui n’ont ménagé aucun effort. Je voudrais également remercier les populations du Sénégal oriental qui m’ont toujours marqué un soutien indéfectible. Je remercie tous mes compatriotes qui m’ont marqué leur soutien. Je voudrais aborder ce grand privilège qui m’est fait avec l’esprit de responsabilité et dans un climat d’apaisement. Et je voudrais travailler de manière à ce que les objectifs du président Macky Sall soient accomplis», a-t-il dit après sa nomination. Comme si le Poste de Pm était une suite logique !
Malick SY