L’urbanisme au Sénégal va mal et pourtant il est porteur de développement et d’espoir pour ce pays ! Un changement de paradigme est inévitable et le contexte politique actuel est favorable pour cela.
L’Afrique est le Continent de l’urbanisation pour les 25 prochaines années et cela contribuerait à accélérer les échanges avec les autres Continents. Dans ce contexte, le Sénégal doit se positionner comme un laboratoire de villes durables capable d’expérimenter des projets pilotes compte tenu de sa stabilité politique, de son accessibilité aérienne, des progrès en matière de démocratie, des tendances économiques encourageantes, des initiatives sociales et des grands projets urbains en cours, sans compter les réformes majeures en perspective.
Le développement économique de l’Afrique dépendra largement de la façon dont les gouvernements gèreront leur urbanisation. En réalité, aussi bien au Sénégal que pour le reste du Continent, 75% des infrastructures dont nous auront besoin en 2050 ne sont pas encore construites (source ONU Habitat). Dans les vingt ou trente prochaines années, il faudra accueillir, en Afrique, 300 millions de nouveaux urbains (source CGLUA). Le Sénégal sera urbain à 75% et cela veut dire que les villes sénégalaises abriteront la quasi-totalité de la population actuelle. Il faudra construire autant d’infrastructures qu’il en a été jusqu’à maintenant et cela nécessite d’améliorer les capacités de planification et de gestion urbaine, de renouveler les villes, d’en créer de nouvelles, d’accroître les investissements pour l’accès à l’eau, à l’éducation, au logement et de mettre en œuvre des politiques de quartiers susceptibles de promouvoir l’écocitoyenneté, le nouveau type de citadins, la sécurité urbaine, les emplois, la stabilité sociale et politique. Des pays comme le Maroc ont échappé au « printemps arable » grâce à des politiques urbaines ambitieuses.
Il s’agira donc de lutter contre la crise urbaine, une crise qui n’est pas seulement urbanistique, elle est d’abord sociale, ensuite sociale, et enfin sociale. Il faut donner un nouveau souffle aux quartiers précaires en agissant sur le bâti, sur le tissu urbain et la forme des quartiers pour plus de mixité, plus d’équipements, plus d’emplois, plus de stabilité, afin d’impulser un développement social porteur d’espoirs.
Cette urbanisation sera vectrice de transformations urbanistiques, infrastructurelles et politiques sans précédent. Elle est donc une chance pour le développement économique des États africains, mais elle demande des efforts importants de gouvernance, d’investissement et d’adaptation aux changements climatiques.
Il faut noter d’abord que l’urbanisation est le phénomène le plus marquant du siècle précédent et de celui-ci. L’Afrique est la région qui s’est la plus tardivement urbanisée. Elle est la région la moins urbanisée du monde, mais aussi la région où l’urbanisation est la plus rapide et la plus spectaculaire. Une urbanisation d’un autre genre de telle sorte que dans certaines villes, elle fut conduite par des ruraux. Touba, première ville du Sénégal, en est un exemple patent. Il est urgent d’investir massivement à Touba pour mettre à niveau la ville dans le cadre d’un programme spécial de plus de 1000 milliards de FCFA sur 10 ans.
A l’image de Touba, les villes secondaires ont été longtemps négligées alors que l’enjeu se situe à ce niveau, car ce sont elles qui alimentent les grandes villes en populations et en denrées alimentaires. L’essentiel de la croissance urbaine va se faire au niveau des villes secondaires comme Linguère, Thiés, Sokone, Sandiara, Diaobé, Ziguinchor, Tambacounda. Ces villes ont un énorme potentiel qui n’est pas valorisé. Elles sont les moteurs du
développement économique du pays. C’est pourquoi dans certains pays comme le Rwanda, l’urbanisation est au cœur des politiques économiques. Chez nous, les grandes villes concentrent l’essentiel de la population, des équipements, des industries, des services et activités économiques. Par exemple Dakar concentre 80% des activités économiques du Sénégal. Ceci n’est pas viable. La concentration d’hommes et d’activités dans les grandes villes impactent sur la santé des populations. Ce phénomène fragilise les écosystèmes même, entraîne la pollution de l’air liée à la congestion automobile qui provoque beaucoup de décès, des maladies respiratoires et plombe même l’économie.
Tout ceci justifie la nécessité de créer progressivement des villes nouvelles dans chaque pôle de développement. Des villes à vocation, connectées et reliées par le chemin de fer. Il est nécessaire d’urbaniser le Ferlo en renforçant l’urbanisation de l’axe Linguère, Dahra, Richard Toll, Ranérou, Bakel, Tambacounda et Kaffrine qui concentre 54% de la superficie du pays. Sans urbanisation de cette zone sylvopastorale, point de richesses, point de développement. Cette zone constitue un important bassin laitier. Une urbanisation autour de l’industrialisation des produits laitiers avec la création des villes du lait, après la ville du coton (Tambacounda), la ville du sucre (Richard Toll), la ville de l’or (Kédougou).
Une attention particulière devrait être portée à la ville de Diass, de Linguère, de Saint-Louis et de Khombole – Toubatoule et aux villes côtières du Sud du pays. La mise en œuvre d’un programme d’amélioration des infrastructures urbaines et périurbaines devrait remplacer le Promovilles, un projet aux relents politiques. Ce programme pourrait être financé par un fonds d’investissement pour le développement urbain. Ce fonds sera alimenté par les cautions des loyers qui seront dorénavant déposées au niveau de la Caisse des Dépôts et Consignations, la taxe des certificats d’urbanisme, les fonds des Partenaires techniques et financiers, la Banque de l’habitat (BHS) et d’autres mécanismes à imaginer pour faire face à la crise des villes.
Celle-ci est liée à une crise de l’urbanisme et de l’aménagement qui engendre une crise du logement affectant toutes les couches sociales. Ces crises étant liées à une crise d’imagination des acteurs de la ville et à une longue absence de prospective territoriale. Pour panser et repenser les villes sénégalaises, il nous faut améliorer notre capacité d’imaginer de nouveaux modèles urbains car les modèles actuels, hérités de la colonisation, sont obsolètes.
Les villes doivent être de plus en plus des villes vertes, résilientes et circulaires. Dans cette perspective, il est nécessaire de réformer l’architecture institutionnelle du secteur de l’urbanisme, du logement et de l’aménagement.
Alé Badara SY
Président du Club de Réflexion sur l’Urbain
Dakar, Sénégal