Diriger n’est pas s’opposer. Ce sont deux choses complètement différentes. Dans la phase de conquête des responsabilités, l’opposant est capable du meilleur comme du moins bon. Comme faire la politique de la terre brûlée. Pour toucher le graal, il manie quelque ingéniosité et beaucoup de démagogie. Une fois au sommet, celui qui avait mis tant d’énergie et utilisé autant d’entrechats à occuper la fonction suprême se comporte subitement et étonnamment comme un volcan éteint. Sans génie, sans idées, sans utopie encore moins de probité, nombreux ont été ces locataires du palais qui se sont égarés dans l’immensité de l’Etat. Gageons que cette fois-ci, la loi des séries n’aura pas force de loi. À leur corps défendant, il est peut-être exagéré de leur faire porter le chapeau et tous les échecs passés. Ça ne serait pas tout à fait juste. Chaque président entrant se cherche sans toujours se retrouver dans le labyrinthe parce que les prédécesseurs n’avaient pas fait le travail comme il fallait. Bien souvent, on aura hérité d’un champ de ruines. La prise de connaissance et de conscience des dossiers s’accompagne d’une sensation de froid dans le dos. On y découvre que le chantier est colossal puisque les sortants qui ont été sortis n’ont laissé derrière eux qu’un nain ou, pour être moins sévère, un colosse aux pieds d’argile. L’émergence promise n’est en réalité qu’une situation d’urgence, un os à ronger amenant à ronger son frein.
L’Etat-providence est fini depuis bien longtemps
Trois alternances en un quart de siècle constituent à n’en pas douter une formidable performance du suffrage universel. Ces changements sont aussi autant de cadeaux empoisonnés. Le temps d’un magistère, les chiffres sont maquillés jusqu’à la caricature. Il faut que survienne la discontinuité à la place de la continuité, une alternance dure, pour que le maquillage se défasse. Au contact du réel, les nouvelles équipes en deviennent, à leur tour, indéchiffrables et se mettent à parler au peuple un galimatias incompréhensible. Nous dire que les caisses sont vides, la musique est connue. On ne nous fera peut-être plus un coup pareil quand bien même on aurait fait trop de promesses mirifiques dans un pays et dans un monde en totale rupture d’équilibre. L’Etat-providence est finie depuis bien longtemps. Nulle part, on ne rase gratis. Les hommes et les femmes providentiels aussi quittent la scène. Ils sont en voie d’extinction. Dans une période aussi compliquée que la nôtre où il faut se serrer la ceinture parce que la rareté a supplanté l’abondance, trop promettre n’est plus simplement un acte démagogique, c’est en vérité un manque de respect qui sera tôt ou tard sanctionné par l’effet boomerang.
Le meilleur projet, c’est d’être magistral quand on exerce…
C’est Confucius ou Machiavel ou le choix entre le préférable et le détestable. Le second dit sans une once de moralité qu’une promesse rompue est une nécessité du présent. Le premier nommé, moins misanthrope, demande à bien examiner ce que l’on promet en précisant que la promesse est une dette. Les nouvelles autorités prennent service avec de nouvelles attitudes. Pourvu que ça dure. En étant attentives aux faits et gestes, elles n’ont pas fait beaucoup de triomphalisme après la tempête électorale. À la place de l’euphorie qui paralyse, il a été affiché une noble peur, une forme de trac qui permet à son auteur d’être plus prudent. Effectivement, le plus dur commence dans une atmosphère délétère marquée par une grande détresse sociale. Les gens sont fatigués d’une fatigue mentale avant tout. Il s’agit de les soulager de ce fardeau en remettant sur les rails un pays qui a connu beaucoup de déraillements en 64 ans d’indépendance. Faire renaître l’intérêt général est une gageure mais c’est sans doute la première des choses à accomplir. Une renaissance lente mais certaine de notre tréfonds, c’est par ce bout qui n’est pas le petit bout de la lorgnette que l’on arrive à faire quelque chose du pouvoir. Il faut faire de grands projets sans en faire un mot-valise comme on l’a connu avec la sacro-sainte émergence. En politique, le meilleur projet n’est pas d’exercer un magistère, c’est d’être magistral quand on l’exerce.
Assane GUÈYE