Le cacao retrouve des hauteurs. La tonne atteint dix mille dollars sur le marché comptant. En Côte d’Ivoire, premier producteur mondial, les acteurs se frottent les mains. De la fève à la tablette de chocolat, toute la chaîne de valeur affiche des résultats en hausse. Une embellie ? En effet.
Mais elle s’inscrit dans une certaine durée liée à une conjoncture favorable : la reprise effective de la consommation et une augmentation conséquente des commandes. Tous les moteurs de l’activité se remettent en marche : les demandes s’expriment plus nettement, les offres se relèvent, les approvisionnements suivent la tendance et les stocks se reconstituent.
Le regain, après le déclin ou une certaine stagnation, donne à nouveau de la vigueur à une filière qui alternait jusque-là le bon et le moins bon. Ainsi, se dessine une reprise de l’économie ivoirienne associée à une relance du secteur agricole. Assiste-t-on en Côte d’Ivoire à un retournement de conjoncture avec un réveil de la croissance et l’éloignement de toute vulnérabilité ?
La fébrilité n’envahit pas encore le pays, mais les autorités anticipent pour donner de la solidité à la perspective. Les ivoiriens reviennent de loin. Ils apprennent de leurs erreurs du passé (au temps de l’exubérance du café et du cacao) pour rectifier une trajectoire qui avait abimé les ressorts de croissance. La fève se vendait à vil prix dans les temps anciens au détriment du paysan qui, au fil des ans, subissait sans gémir une sombre détérioration des termes de l’échange.
Félix Houphouët-Boigny, premier président de la Côte d’Ivoire indépendante, en avait fait son combat de vie. Il saisissait toutes les tribunes qui s’offraient à lui pour flétrir l’injustice et l’iniquité frappant les matières premières provenant du sud et assujetties aux humeurs du nord dominant, arrogant et « sans cœur ». Il dénonçait la baisse du prix au producteur et s’étonnait en même temps du relèvement ininterrompu du prix de la tasse de café ou de la tablette de chocolat.
Ses discours et ses plaidoyers, délivrés à l’époque sur un ton pontifiant, avaient secoué la conscience de l’opinion mondiale. Il décède en 1993 sans voir les paysans ivoiriens s’épanouir grâce à leur labeur, à la sueur de leur front… Les paramètres économiques s’inversent-ils en ce moment à leur profit ?
Visionnaire et avocat inlassable d’une cause juste, Houphouët a marqué les esprits. Pour preuve, le cacao est aujourd’hui plébiscité. Les nouvelles générations de dirigeants, sensibles à l’effet souveraineté, saisissent ces opportunités pour vaincre les périls et les avatars, ainsi que les tourmentes.
L’envolée des prix du cacao, en amont et en aval, sonne comme un nouveau cycle d’expansion avec une rétribution plus conséquente de la production du planteur au pied de ses fèves. La Côte d’Ivoire se requinque. Elle renforce ses liens avec le Ghana voisin. Ensemble, les deux pays veulent peser plus lourds en développant plus d’affinité qu’offre la proximité géographique.
Le cacao constitue le facteur de rapprochement, en plus des liens historiques, culturels et familiaux. La barrière linguistique n’est plus un obstacle. Au contraire, l’anglais et le français raffermissent ces liens qui se traduisent dans les négociations par une efficacité insoupçonnée.
En comprenant mieux les enjeux, Ivoiriens et Ghanéens bâtissent des relations de confiance qui impactent la Cedeao, l’organisation d’intégration régionale au sein de laquelle leur influence est bien réelle. Naturellement le Président ivoirien Alassane Ouattara et son homologue du Ghana Nana Akufo-Addo, jouent la parfaite partition qui leur vaut l’admiration du Nigérian Bola Tinubu, leur cadet.
Le cacao rapproche Abidjan d’Accra. Et même Abuja !
D’ailleurs, la capitale fédérale s’apprête à rejoindre l’axe Accra-Abidjan avec une légère inflexion pour prendre en compte la puissance économique, démographique et économique que représente le Nigeria.
Les trois économies, à des nuances près, reflètent des ambitions croisées de leadership. Plus de complicités entre elles favorisent plus de dynamisme qui forcément influe sur les parcours des autres pays à économies plus vulnérables.
La Côte d’Ivoire sort d’une grave crise socio-politique. Elle semble s’en éloigner avec la profonde volonté de tourner au demeurant une page sombre de son histoire.
Le Ghana, longtemps instable, renoue tant bien que mal avec l’équilibre, ce qui lui ouvre les portes d’une croissance maîtrisée favorisée par la remise à flot de bien des infrastructures de pointe.
L’élan de projection du Nigéria complète le tableau de ce trio aux fondamentaux solides. Désormais les ressortissants du Grand voisin essaiment dans toute l’Afrique avec des champions qui se recrutent dans les banques, la finance, les assurances, les cimenteries, et l’industrie.
Les présidents des trois pays, tout en se mettant en retrait, avancent par touches, avec des approches sectorielles : énergies, sécurité, grands projets, éducation. Ils se complètent malgré leur différence de tempérament et misent sur la combinaison de leurs atouts respectifs en vue de circonscrire les divisions qui ont hélas cours au sein d’une Cedeao moins flamboyante et dont la pâleur actuelle inquiète plus d’un.
Sur le terrain, les opérateurs se rencontrent, se découvrent, s’éprouvent et se familiarisent. Un tel climat reste propice à une éclosion d’initiatives et conduit à un brassage d’hommes et de situations. Les valeurs communes qui en résultent fortifient des complicités avec des chances de réussite qui pourraient changer la donne économique à l’échelle régionale. Une démarcation qui ne dit pas son nom s’efforce d’émerger à la différence d’un Sahel envahi par des régimes kaki.
Lesquels n’ont pas le goût de plaire à une époque où les processus démocratiques sont interrompues ici ou là alors que planent la menace terroriste et les défis d’intégrité territoriale. Le nouveau pouvoir à Dakar scrute l’horizon et s’ouvre à ses voisins immédiats dans une approche dite de proximité diplomatique.
Nouakchott et Dakar, compte tenu des ressources d’hydrocarbures off-shore qu’ils ont en partage, s’efforcent de favoriser la meilleure entente possible pour une exploitation avantageuse des richesses. Cet axe serait-il le pendant de l’autre axe qui enthousiasme Accra-Abidjan-Abuja ? Il y a une symétrie des deux démarches. Cela se ferait-il au détriment de l’intégration régionale ?
La Mauritanie, ne l’oublions pas, avait déjà quitté la Cedeao en 2000, même si, dix-sept ans plus tard, elle signait un accord de libre-échange, synonyme de réintégration progressive avec la libre circulation des biens et des personnes dans l’espace considéré. Elle guignait une place au sein de l’Union du Maghreb Arabe (UMA) plombée par des divisions au sujet du Sahara Occidental. Pour durer, il faudra endurer. La Mauritanie l’a appris à ses dépens, en cessant maintenant de creuser le trou qui l’enfonçait.
Quel visage le Sénégal entend-il incarner à l’avenir ? Pourra-t-il gagner la confiance des régimes d’exception à Niamey, Ouagadougou, Bamako et même Conakry tout en ménageant Abidjan, son allié, qui, lui, se rapproche de plus en plus d’Accra et d’Abuja ?
Mamadou NDIAYE