Le monde célèbre la journée mondiale de l’environnement ce 5 juin. L’accent est mis sur la dégradation des terres et les solutions durables pour y faire face. L’ONU parle de 40 % des terres dégradées dans le monde , quelle est la situation au Sénégal ? Dans cet entretien le Directeur de la réglementation environnementale et du contrôle fait l’état des lieux et parle des armes de l’Etat pour freiner « le mal de terre ».
Monsieur Dramé , ce 5 juin, l’environnement est à l’honneur avec sa journée mondiale. Pour cette année, l’ONU rappelle les 40 % des terres dégradées. Quelle est l’ampleur de la problématique au Sénégal ?
Effectivement, la journée mondiale de l’environnement est un important moment de sensibilisation des questions environnementales de façon générale. Et cette année, comme vous l’avez rappelé, le Programme des Nations-Unies pour l’environnement l’organise sous l’angle de la dégradation des terres, des solutions de restauration, de la lutte contre la sécheresse et désertification. Et comme vous l’avez signalé aussi, au niveau international, les estimations montrent que 40% des terres sont dégradées. Au niveau du Sénégal, nous n’avons pas une estimation exacte pour apprécier l’étendue des terres qui sont dégradées. Mais pour l’étendue du phénomène, on peut se faire une idée. Aujourd’hui, vous allez dans la partie nord du Sénégal avec la désertification qui avance, il y a beaucoup de terres jadis cultivables qui ne le sont plus. Des terres désertiques ou prédésertiques. Vous allez dans la zone côtière, comme celle du delta (fleuve Sénégal, Saloum, de la Casamance), il y a le phénomène de la salinisation des terres avec les tannes à perte de vue. Et cette tannisation commence même à contaminer des zones anciennement cultivées. En Casamance par exemple, les bassins agricoles, les zones côtières sont complètement contaminés. Et vous venez dans ce centre du pays avec la culture arachidière développée depuis la période coloniale jusqu’à maintenant, les pratiques culturales ont complètement dégradé notre patrimoine pédologique. Donc, c’est pour vous dire que dans toutes les zones, il y a des pertes énormes de terre. Au Sénégal oriental avec l’exploitation minière, il y a beaucoup de périmètres agricoles qui ne sont plus utilisables. Ce qui peut avoir une conséquence considérable sur l’agriculture et la sécurité alimentaire.
Mais est-ce qu’il y a une estimation à retenir concernant le niveau de dégradation des terres au Sénégal ?
Le Centre de Suivi Écologique avait mené une étude allant dans ce sens. Il a estimé à plus d’un million les terres qui sont donc dégradées. Et sur la base de ces estimations, ils ont même conclu que cela peut correspondre à 8 % de perte de notre Produit Intérieur Brut. Mais ce sont des estimations qui datent d’assez longtemps. Je pense qu’aujourd’hui, il y a un besoin de faire une réactualisation de ces informations pour donner une appréciation plus exacte et pour permettre aux autorités de prendre les mesures qui s’imposent.
Vous avez évoqué plusieurs choses pour expliquer la dégradation des terres. Mais quels en sont les principaux facteurs ?
Les facteurs sont multiples. Si nous prenons l’exemple de la salinisation des terres. Un phénomène en lien avec les changements climatiques. Quand il y a un relèvement du niveau des mers, il y a forcément un déploiement des eaux salées dans la partie terrestre. C’est ce qui se passe actuellement en Casamance, les rizières sont complètement envahies par le sel. Des zones qu’on ne peut plus cultiver.
Dans la partie nord du Sénégal, le phénomène a été plus au moins inversé avec la création du barrage de Diama qui a permis d’arrêter la progression de la langue salée sur le fleuve Sénégal. Avant ce barrage, il y avait du sel jusqu’à Dagana à une certaine période de l’année. C’est pour vous dire l’impact des changements climatiques. Mais il y a aussi les mauvaises pratiques agricoles. Je peux citer la monoculture qui a complètement dégradé des terres dans le bassin arachidier. Des terres qui ont perdu leur fertilité à réhabiliter, à restaurer qu’elles puissent servir à l’activité agricole. Sans compter les produits chimiques utilisés à grande échelle. Des produits chimiques dangereux qui peuvent impacter la biodiversité des sols. On peut parler de tout ce qui se passe dans la partie nord avec le phénomène de la désertification dans la partie nord. Les dunes de sable qui se déplacent sans oublier la déforestation. Vous savez, la végétation est le premier facteur de conservation des sols et quand il n’y a plus de végétation, il y a le phénomène de lessivage par les eaux de pluies, le vent, le ravinement qui finissent par dégrader le sol. Et c’est donc un ensemble de facteurs qu’il faut chercher à combattre avec des solutions innovantes.
Face à l’ampleur de la dégradation des terres, que fait l’Etat ?
L’Etat du Sénégal fait beaucoup de choses. Rappelons qu’ en à un moment donné de l’histoire, le gouvernement avait mis en place l’Institut National de pédologie (INP). Un institut dont l’objectif est de gérer de façon rationnelle notre patrimoine pédologique. Vous avez également, ici au ministère de l’Environnement, la direction de la conservation des sols dont l’objectif est aussi de participer à la préservation du patrimoine pédologique. Comme solutions, il y a souvent des solutions naturelles : des activités de reboisement pour la fixation des sols. En cause : là où il y’a des dunes de sable parce qu’il n’y a pas de végétation, il suffit de les fixer pour voir le sol se régénérer. Je peux donner l’exemple de la grande côte du Sénégal où les agents des eaux et forêts ont fixé des dunes, utilisées par la suite dans l’agriculture. Dans la même veine , il y a les infrastructures d’incursion saline. Comme je l’ai dit tout à l’heure avec le barrage de Diama. Des infrastructures luttent contre la dégradation aussi des terres. Vous allez au niveau des tannes, il y a des produits chimiques qui sont aujourd’hui utilisés comme le chaulage des sols pour traiter certaines zones, touchées par le sel.
Nous venons de Téourou Boubal (Fatick). Dans ce village, une ferme intégrée fait le bonheur des populations. Mais le suivi fait parfois défaut dans des initiatives pareilles. Comment l’Etat pourrait appuyer les communautés?
Ces fermes sont créées dans une approche agroécologique. Des solutions développées avec une approche intégrée (l’élevage, l’agriculture et d’autres activités). C’est une sorte d’économie circulaire dans un espace déterminé. Nous avons tenté cette initiative dans le cadre d’un programme à Gouloumbou avec l’installation de bassins piscicoles. L’objectif n’était pas seulement de faire de l’aquaculture. Il s’agissait aussi de réutiliser les eaux du bassin car elles sont riches en nutriments pour l’agriculture, l’élevage et le maraîchage. Ces eaux permettent de fertiliser le sol. Les fermes intégrées, de mon point de vue, sont une solution. Elles permettent également aux jeunes d’être des agri-preneurs et d’avoir une diversité de revenus. Ce sont des initiatives à renforcer de la part de l’Etat.
Pape Ibrahima NDIAYE, Adama A. KANTÉ et Serigne S. DÈME (Photo)