Sonko renoue avec la parole. Fait-elle oublier les promesses de grand renversement à l’origine de la chute du précédent régime ?
En retrouvant les foules et les chaudes ambiances, il entretient le souffle et s’aperçoit que l’obsession partisane et les calculs d’appareil sont toujours au beau fixe. Les Sénégalais étaient nombreux à répondre à son appel sur l’esplanade du Grand Théâtre.
Ils ont applaudi à tout rompre leur leader subjugué par le spectacle « Woodstock » dont il était la star. Sa fraîcheur physique, son gabarit et son aisance flattent le regard. Autant dire qu’il impressionne par sa maîtrise des codes de sympathie. Loin de lui donc l’apparence « old school ».
Il privilégie plutôt un style jeune adopté comme un signe de ralliement de cette catégorie de la population qui, semble-t-il, a été déterminante dans le triomphe d’avril dernier. En vainqueurs, ils sont encore submergés par l’optimisme. Cela va de soi.
Néanmoins, deux mois après la victoire et l’installation au pouvoir, la magie du temps fort opère encore. A Diomaye, Président de la République, le Grand dessein. A Ousmane Sonko, l’action avec sa double casquette de Premier ministre et de Président du Pastef. Naturellement, ils se concertent pour se répartir les rôles et les tâches dans un bel esprit de complicité et de fraternité qu’affectionnent les militants.
En revanche, une partie de l’opinion, peu persuadée, voit dans le discret chevauchement de prérogatives, une potentielle source de conflit à la tête de l’exécutif. Or face aux doutes, Sonko affiche sa confiance et rassure son monde que rien ne le distrait, il travaille d’arrache-pied et se montre très peu réceptif aux critiques dénuées de fondement.
Les chantiers qui l’attendent sont nombreux et pressants : l’hivernage, les inondations, la campagne agricole, la cherté des prix des produits de consommation courante, l’énergie, la baisse des prix, la sécurité et la lancinante question de l’emploi des jeunes. Sonko en Hercule pour tant de travaux !
Dans son adresse au public venu l’écouter, plusieurs sujets ont été abordés dans un ordre de priorité noyé par des effets oratoires. Sa longue tirade de reproches à l’égard de la presse a certes retenu l’attention mais a irrité plus d’un. Dans ce qu’il évoque à propos des médias, il n’y a ni crise, ni crispation, ni scandale. Pas même de menace pour justifier une mise en quarantaine.
Pour autant, sa sortie contre les journalistes constitue un mystère à élucider. Le Premier ministre avait le pouvoir de tuer la discordance dans l’œuf et de chasser les odeurs. Il ne l’a pas fait. Son entêtement frise une débordante amertume qu’il a envie de déverser pour se calmer. En s’attaquant à toute une corporation ne jette-t-il pas le discrédit à une profession alors qu’il a en tête bien des noms.
Un effort de discernement aurait permis de désamorcer cette querelle maladroitement provoquée et amplifiée par les réseaux sociaux très prompts à lancer des attaques au vitriol contre la presse. Il est à craindre une certaine solitude du Premier ministre lorsque surviendra inéluctablement le temps faible.
Une hostilité prononcée augmenterait l’aversion à sa personne et accentuerait la méfiance des médias qui, quoi qu’il advienne, couvriront les activités du gouvernement avec le même naturel qui sied en toutes circonstances. En revanche la rigidité de la communication du Premier ministre peut transformer son QG en une forteresse muette.
Ce qui serait un comble pour la Primature où la volonté de transparence est érigée en dogme de gouvernance. Mais gouvernance rime avec subtilité, voire une réelle dose d’habileté pour surmonter les écueils en jalonnement. S’il en a conscience, Ousmane Sonko a intérêt à ramollir sa posture politique pour une bonne fluidité de sa fonction à la Primature, siège de l’action, et par extension, d’un réel pouvoir d’influence dans la vie de la nation.
Il n’ignore pas que le raidissement de sa démarche vis-à-vis de la presse peut décourager des vocations ministérielles. Après tout, cette même presse, sans s’en glorifier, a contribué à son ascension depuis la création de son parti, aux péripéties endurées en passant par sa remuante trajectoire jusqu’à l’exercice actuel du pouvoir. Lequel tient-il sur sa seule cime ?
La période qui s’ouvre est pleine d’incertitudes tant au pouvoir que dans l’opposition. Cette dernière d’ailleurs peine toujours à se remembrer au lendemain de sa déroute à la présidentielle. Aucune figure de consensus n’émerge pour le moment. Derrière les rideaux les tractations se poursuivent sur fond de concessions mutuelles qui n’apparaissent pas au grand jour. Pour le moment. Une recomposition politique pointe du nez.
En revanche, la presse n’est pas exempte de reproches. Au contraire, la pratique de certains dirigeants contrarie les rédactions appelées à « garder le temple » en veillant à l’orthodoxie éditoriale. La ligne n’est guère tenable quand les compromis et les compromissions foisonnent à l’abri des regards.
Le soupçon projeté sur les médias par les nouvelles autorités trouble la quiétude des salles de rédaction déjà gagnée par la psychose fiscale agitée par les services des Impôts. Les redressements fiscaux infligés sont hors de portée des groupes de médias ciblés. L’empressement cache une intention ambiguë. Il dénote par la même occasion la méconnaissance de la réalité de l’écosystème des médias.
L’information a cessé depuis longtemps d’être une « denrée périssable » comme le lait ou la tomate. Elle acquiert de la valeur en contenu et en densité. Un regard sur les opportunités renseigne sur le gisement de solvabilité que renferme le secteur. Mais personne ne veut creuser pour inverser les revers de fortune et donner aux médias l’occasion de se redresser, de prospérer et de devenir indépendants par les moyens propres qu’ils génèrent.
Plus grave, certains acteurs n’aident pas la presse à se ressaisir puisque selon eux, elle n’est jamais rentable ni profitable. Alors s’il en est ainsi pourquoi ne la quittent-ils pas pour d’autres prairies ?
Le pouvoir d’influence que diffuse la presse est-il pris en compte dans la modélisation de l’imposition ? Prélève-t-on des taxes sur les Géants du Web Google, Apple, Facebook, Amazon, les fameux GAFA ?
Ces opérateurs d’Internet disposent de puissants véhicules qui transportent à une vitesse stratosphériques les productions de contenu des médias sénégalais et africains. Ils engrangent de faramineux gains issus de la commercialisation de ces flux de données.
La réflexion n’est guère menée au sein de la Direction des Impôts pour adapter une fiscalité flexible aux médias. Ce paiement exigible sonne-t-il le glas de la presse globalement accusée -et souvent à tort- d’être de connivence avec le « pouvoir oppresseur » ?
En d’autres termes, le pays a-t-il besoin de cet épisode. Dans son ensemble, elle rejette l’accusation et s’offusque de devoir payer quand l’écart de conduite n’est le fait que d’une poignée d’acteurs. La presse reste un secteur particulier.
L’ignorer c’est entretenir l’amalgame et la confusion qui lui valent aujourd’hui des mises en demeure et des broncas d’indignations sélectives d’affidés qui « hurlent » avec des loups faméliques. D’un mal sort un bien. D’une difficulté jaillissent des opportunités !
Par Mamadou NDIAYE