Les vendeurs de moutons du foirail de Keur Massar ont toute la peine du monde pour trouver acheteurs. Les clients déplorent la cherté des prix.
Il est 6h du matin ! Le soleil est en phase embryonnaire. Un vent humide et laiteux souffle dans les couloirs, rues et ruelles de Keur Massar. Une marée humaine arpente les axes qui mènent à la gare routière de la ville. A pas rythmés, une dame court et se faufile parmi la cohue sur les trottoirs du populeux département. Certains usagers restent debout sur marchepieds des «Ndiaga Ndiaye». Ils veulent tous rejoindre leur lieu de travail. Devant la station-service, certaines véhicules «particuliers » attendent hypothétiquement des clients. Juste à côté, un jeune vendeur de café, debout dans son jean noir, le corps camouflé dans un pull-over, sert une tasse à un client qui veut se rendre en ville. Le vrombissement des moteurs de voitures et les klaxons des motos constituent la symphonie matinale. A Keur Massar, le tapis goudronné est occupé par des stands dont certains sont en bâche. A l’intérieur, la surface est remplie de sable blanc transporté par un mini camion. Des mangeoires en bois, aluminium sont exposées çà et là. Une cinquantaine de moutons sont attachés dans le stand. Un petit bureau est aménagé. Une table en verre sur laquelle est posé un pot de fleur entouré de fauteuils en cuir campe le décor. Abdou Diouf, vautré dans un des fauteuils, lunettes blanches bien vissées, est en train de revoir son carnet de factures. Le bêlement des moutons ne facilite pas le merchandising.
«Un mouton moyen à 200 mille, c’est du n’importe quoi !»
Devant le stand d’Abdou Diouf, vendeur évènementiel de moutons, une BMW bleu sombre stationne. Un jeune homme, confortablement assis, en blouson parisien, est sur le point d’acheter un bélier pour les besoins de la Tabaski. Ce jeune cadre de l’administration est un polygame. Il s’indigne de la hausse des prix du mouton. «Pour un mouton moyen, il faut 200 mille. C’est inadmissible ! Franchement, c’est un grand n’importe quoi», s’emporte-t-il. Moussa Fall veut acheter deux moutons. «J’ai deux femmes et chacune doit avoir un mouton. Mais tu me vois dépenser 400 mille pour l’achat de deux moutons. Il est temps que l’Etat mette en place un projet de bergerie pour soutenir les populations. Nous ne pouvons plus subir le diktat des vendeurs», s’étrangle-t-il de colère. N’ayant pas trouvé un bélier, le jeune polygame rebrousse chemin. Abdou Diouf tente de raisonner le client : «Mon cher, nos moutons sont différents des autres. Ils ont été élevés, nous avons investi beaucoup d’argent sur nos moutons pour les vendre à 150 mille FCFA», explique le vendeur. Les clients déplorent la cherté des prix. Une maman accompagnée de ses deux garçons est venue acheter un mouton. Fatou Diop veut un bon mouton à 150 mille. Apparemment, la dame à toutes les peines du monde pour en trouver un. Les moutons qu’on lui a proposés ne sont pas de son goût. «J’ai l’impression que chaque année les prix connaissent une hausse. Par contre, les moutons deviennent de plus en plus squelettiques», fustige Fatou Diop. Dans la foulée, son fils aîné arrache la parole. «Maman, il est hors de question que tu achètes ce mouton. Cette bête tient à peine sur ces pattes», ironise le jeune garçon à la coiffure dégradée.
«En 15 jours, je n’ai vendu que deux moutons»
Au foirail de Keur Massar, l’environnement est irrespirable. La forte odeur des bêtes oblige les clients à se boucher les narines. Des carrés de filets verts accrochés aux piquets se forment, séparant ainsi les troupeaux. Au milieu des bêtes, Mamadou Sy, vêtu d’un boubou assorti d’un pantalon bouffant, la tête enroulée dans un foulard vert qui a presque perdu sa couleur, reste quelques fois lunatique. Le vendeur, originaire de la région de Matam, n’arrive plus à vendre ses produits. En deux semaines, il n’a vendu que deux moutons. L’inquiétude se lit dans son regard «Wallahi, c’est la première fois que je vis une telle situation. Cela fait plus de sept ans que je vends mes moutons à Keur Massar. C’est terrible !», regrette-t-il. Cette situation si inquiétante préoccupe les vendeurs. Certains d’entre eux qui ne sont pas établis au foirail se promènent avec leurs moutons. Trouvé sur le trottoir, Issa attend désespérément preneurs. «Deukk bi dafa Diomaye». Cette expression veut dire que les gens n’ont pas de quoi se payer un mouton. Le jeune berger explique : «Tous les gens que j’ai rencontrés n’ont que 100 ou 125 000 FCFA. Je ne comprends pas», s’étonne le jeune homme au jean noir légèrement déchiré aux genoux. «Les clients aiment trop la facilité. S’ils pensent que je vais vendre mon mouton à un prix dérisoire, ils se trompent. Cela fait une semaine que je traine avec ce mouton», s’offusque-t-il.
Maxime DIASSY