La déclaration de patrimoine est une obligation pour le président de la République, les ministres et autres ordonnateurs de crédits publics dépassant le milliard. C’est un effort louable de transparence. C’est aussi une formalité qui peut apparaître comme une torture pour les assujettis. Un Premier ministre du défunt régime s’était montré décomplexé face à la question en disant qu’il avait peur de dévoiler ses biens. Il n’est pas le seul à avoir cette phobie. Comment ne pas essayer de les comprendre ? La divulgation de son patrimoine est une manière de divulguer ses données personnelles. On est presque jeté en pâture. Tout est mis sur la place publique. Tel un butin de guerre, le fruit d’une vie de labeur ou de faveur est exposé partout. Il est bien possible que l’injonction faite de ne rien cacher se transforme en dictature de la transparence. Il y a aussi un manque de pudeur à étaler ses richesses dans un océan de misère. De plus, dans l’imaginaire populaire, les bijoux de famille et les paires d’yeux ne font pas bon ménage. Ils ne sont en sûreté que s’ils sont entourés d’une culture du secret. On manque aussi d’être impressionné par le procédé́ quand il s’avère plus utile à la sortie qu’à l’entrée. Arrivés en fin de mission, les plus tordus qui auraient accumulé plus que de raison ont peut-être déjà utilisé des moyens de contournement ou de dissimulation. Ni vus ni connus, ils ont poussé le vice jusqu’à mettre en place des systèmes de prête-noms ou d’hommes de paille. Les associations de malfaiteurs devancent toujours de loin les associations de bienfaiteurs. Le recours aux bas de laine si elle n’a pas logé dans les paradis fiscaux le magot gratuitement ramassé est aussi leur point fort. Dans le cas d’espèce, on parle de flux financier illicite. Le malin pour le mal est vieux comme le monde. Les déclarations de patrimoine n’empêchent pas les incendies sur nos maigres deniers de se déclarer. Plus de prévention, de garde-fous et des châtiments exemplaires en cas de faute peuvent dissuader les pyromanes de faire feu de tout bois. Somme toute, il est intrigant de voir la facilité avec laquelle les crimes économiques sont perpétrés sous nos latitudes.
L’art de lâcher la proie pour l’ombre
Pour ce qui est de la déclaration du numéro un Sénégalais, on dira après l’avoir parcourue que le cinquième Président n’est pas un coffre-fort ambulant comme auraient pu l’être ceux qui l’ont précédé. Ces derniers avaient assez duré pour avoir le temps de baisser la garde sur le bien commun. L’actuel locataire du palais n’est pas non plus dans la précarité au regard de ce qu’il a présenté. À son endroit, il faut avoir un a priori bienveillant quant à sa probité. D’habitude, les visages séraphiques ont bon fond. La réussite ou l’échec de son magistère est étroitement lié aux résultats qu’il aura sur le front de la lutte contre l’industrie de la corruption et la prévarication. Nos pays sont ravagés par cette tumeur qui a d’ailleurs dépassé ce simple stade. Les mauvaises pratiques sont comme une bombe atomique qui souffle tout sur son passage. Les paysages de désolation n’ont qu’une seule origine, la mal gouvernance. Ou quand un petit nombre de kleptomanes s’emparent de tout. Où a-t-on jamais vu un îlot de prospérité dans un décor exsangue ? Ce n’est jamais durable. C’est collectivement que les civilisations avancent ou déclinent. Plus profonde encore est cette réflexion de cet artiste-rappeur qui a «souhaité à tout un chacun de connaître richesse et opulence pour savoir que le bonheur ne s’y trouve pas». Les déclarations de patrimoine nous édifient souvent sur ce qu’on a fait de l’intérêt général depuis plus de 60 ans. Le temps est venu d’arrêter de donner l’occasion aux larrons en foire en veillant comme du lait sur le feu sur le patrimoine commun national. L’urgence est de s’attaquer à la racine du mal, aux causes et non aux symptômes. Et ne pas lâcher la proie pour l’ombre.
Par Assane GUÈYE