Enfer et damnation ! Une gêne non feinte envahit les foyers à l’évocation d’un sujet qui irrite ou fâche : le port du voile à l’école. A une belle occasion dédiée à la célébration des meilleurs élèves des lycées du Sénégal, le Premier ministre Ousmane Sonko pointe l’indexe sur l’interdit dans des écoles de type confessionnel et promet de régler définitivement la question.
Le ton était ferme. Mais le chef du gouvernement, sans doute emporté par son élan et la solennité du moment, n’a pas dit comment il allait s’y prendre. En affichant ainsi ses certitudes, il n’ignore pas la résonnance et la portée de son propos devant une assistance venue à la fête avec un esprit somme toute léger.
Espérait-il une clarification ? Tenait-il à souligner l’intérêt qu’il accorde à cette lancinante équation, par ailleurs une préoccupation majeure et délicate dans notre pays si attaché à la cohabitation et à la tolérance ! Sonko fait-il sienne cette assertion : « écouter, c’est posséder l’esprit des autres. »
Ah les signes religieux dans nos établissements scolaires ! Toujours abordés, disons effleurés, en revanche jamais traités dans le fond et « avec le sérieux » requis contre lesquels avancent masqués certains poids lourds politiques quand d’autres en défendent le principe par un simple rappel des… principes.
La réplique presque instantanée de l’Abbé André Latyr Ndiaye jette un trouble en même temps qu’elle rend plus explicite le clivage sous-jacent. Les grandes voix du clergé catholique élèvent la voix pour se faire entendre. Ils n’ont pas tort dès lors que le choix est donné à tout Sénégalais d’opter pour le mode d’enseignement qui lui conviendrait.
Pourquoi s’en offusquer ? Après tout, ils ne dérangent personne. Au contraire, ils arrangent tout un monde qui serait désemparé s’il n’y avait cette offre d’éducation bien encadrée, organisée et efficace avec les bons résultats qu’elle présente d’année en année.
Le succès est tel que d’aucuns y voient la « poule aux œufs d’or… » qu’il faudrait à tout prix préserver. La sous-région n’est pas en reste qui duplique le modèle sénégalais ou l’acclimate. Des parents aisés s’installent même au Sénégal dans l’optique d’assurer à leur progéniture le meilleur enseignement qui soit.
Au plus fort de la crise ivoirienne, de nombreux élèves venus de Côte d’Ivoire ont été envoyés poursuivre leurs études au Sénégal dans des écoles présentant de frappantes similitudes avec leur environnement originel.
Ce pragmatisme séduit. Mieux, il est plébiscité, à l’image des inscriptions et des réinscriptions croissantes enregistrées. Il emporte l’adhésion de nombreuses familles (toutes confessions confondues) accueillies à bras ouverts avec la confiance comme socle d’une relation enthousiasmante qui épouse la durée. C’est dire que ce pragmatisme apaise.
La molle réaction de certaines figures musulmanes n’est pas pour ébranler l’édifice scolaire du clergé. Imagine-t-on l’imminence d’une collision entre les deux sphères que tout oppose dans l’approche d’éducation ? Personne n’y songe. Néanmoins, le temps est venu pour l’autre camp d’oser plutôt que de se calfeutrer dans l’indolence et l’invective.
Par le nombre et une addition de volontés, les musulmans, pour peu qu’ils s’organisent, peuvent à leur tour concevoir un modèle alternatif dans le strict respect de la laïcité. Le retard qu’ils accusent leur est imputable. Ils ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes.
Pour être prêts un jour, il leur revient de penser des stratégies, de n’être pas dans le « copier-coller », d’innover en s’inspirant des progrès scientifiques et (surtout) sans attendre un quelconque sauveur hypothétique.
A intervalles réguliers « des Messies » revenus ahuris d’Orient surfent sur la vague de la béatitude pour épater des compatriotes dépourvus de discernement. Ils distribuent de l’argent, beaucoup d’argent pour récolter quelque vif succès avant de disparaître en laissant les commérages prolonger les étonnements.
Ces largesses gaspillées ne pouvaient-elles pas servir à bâtir une école de type musulman susceptible d’enrôler ces milliers d’enfants « jetés » faute de mieux dans des daras insalubres, quelconques et parfois insécures du fait de prédateurs impénitents.
Bien évidemment toutes les daras ne sont pas logées à la même enseigne. Certaines donnent la pleine mesure de leurs ambitions pédagogiques et surtout de leur ingéniosité malgré la modicité des moyens mobilisés. La mise en scène sincère de leur lutte pour une image améliorée des daras se heurte toutefois à des réticences difficiles à vaincre. Autrement dit, elles ont du chemin à faire… avant de terrasser le mur des soupçons ! Pour çà, il faudra des hommes et des femmes avertis qui ont le « sens de l’histoire ».
L’école est certes une affaire d’époque (conjuguée à tous les temps). Elle obéit néanmoins à des logiques d’éclairage, de lumière et surtout de rupture avec le bourrage des crânes, l’aveuglement, l’embrigadement ou la mystification.
Pour sortir gagnant (et non vainqueur, entendons-nous bien) le modèle musulman d’une école de la République ne doit nullement s’écarter de l’efficacité en privilégiant un contenu éprouvé, distinctif et attractif. Déjà le retard de l’effet sur la cause plombe les initiatives que des bonnes volontés tentent d’entreprendre pour rectifier la trajectoire.
A l’évidence, l’Etat dispose de moyens dédiés à l’école dans le strict respect de critères d’attribution ou d’allocationconformément à l’esprit laïc et républicain. Ces instruments de soutien et de financement peuvent appuyer les enseignementssans aucun prisme partisan, sans faiblesse coupable.
Au lieu de se morfondre dans une complaisance ruineuse, les appuis aux écoles feraient l’objet de contrôles réguliers afin de vérifier les usages finaux et leurs impacts positifs en termes d’avancées réelles. A cet égard, la longueur d’avance prise par l’enseignement catholique dans l’utilisation des fonds injectés ou des crédits affectés pourrait inspirer la version musulmane sans édulcorer son propre projet. Le paysage scolaire s’en porterait mieux. Puisque ce qui ne tue pas engraisse. Pourvu que la bonne graine soit semée…
Le Premier ministre peut s’apercevoir que son laïus de l’autre jour n’indiffère pas l’opinion sénégalaise même si d’autres priorités s’alignent ou s’amoncellent sur son bureau. Lui seul connaît l’ordre qu’il imprime à ses actions publiques. Il s’est vu ou cru l’inspirateur des mutations à venir.
L’école serait-elle avec ses avatars une nouvelle ligne de front pour lui ? Sa vigilance ne doit pas pour autant s’émousser au risque de provoquer des débats de société qui ouvriraient béante une fracture sociale.
Jusque-là sa carrière politique reste fulgurante. Des gens réjouis de ses initiatives caressent le menton. Le vent gonfle leur voile. Ils s’enhardissent des coups de pied dans la fourmilière. Mais attention aux effets inverses. La politique combine contexte, prétexte et circonstances. Une remise en selle est vite propulsée, contre toute attente du reste.
Par Mamadou NDIAYE