Il avait un visage d’ange, Aziz Dabala… Jovial et grand rieur, ce jeune homme à l’allure frêle dégageait la bonne humeur et s’invitait par effraction dans tous les foyers où il diffusait de la joie et de la gaieté.
Par son talent insoupçonné, déjà reconnu des gens avertis, le garçon était une « œuvre d’art », un mélange de générosité et de candeur, présent partout, se donnant à fond, multipliant sa présence scénique sur plusieurs spectacles à la fois dans Dakar et ses environs.
Pour peu, s’il le pouvait, il n’arrêterait de contenter les publics. Mais stupeur ! Cette promesse de vie s’est arrêtée soudainement victime d’un effroyable meurtre commis sur sa personne dans son espace de refuge, entendez son appartement. Mobile du crime ? Sans doute très tôt pour l’étayer. Patience.
Mais les indices probants accumulés ont orienté la recherche vers Touba où le présumé meurtrier a été mis aux arrêts. Nul doute que l’émoi s’est répandu aussitôt, donnant lieu à des spéculations avancées sans précaution.
Des différences de mentalité s’observent sur cette tragique affaire. Les récits s’étalent au grand jour. Les uns privilégient « combine et jalousies » quand d’autres mêlent politique, ambition et règlements de compte.
Les raisonnements les plus absurdes côtoient de fallacieux arguments, le tout entretenu par un verbiage abstrait lui-même soutenu avec un détachement délirant qui en dit long, hélas, sur la dégradation des mœurs au Sénégal. Plus personne ne semble accorder de l’intérêt à l’enquête déjà ouverte et qui se déroule selon des normes éprouvées et surtout sans empressement. Pourquoi « danser plus vite que la musique » ?
De son nom de scène, Aziz Dabala, une fantaisie juvénile ajoutée à une volonté distinctive, Abdoul Aziz Ba, emporte dans sa tombe des questions sans réponse. En revanche, sa mort lève un coin de voile sur l’extrême vulnérabilité de ces « étoiles filantes ».
Qu’elles vivent seules ou en colonie, elles restent exposées aux aléas d’une vie trépidante. Elles s’amusent et s’éclatent sans répit. Sans repos aussi. A peine mises en scène les voilà qui planchent sur d’autres spectacles. Ces artistes enchaînent les prestations passant des cafés aux amphis en rêvant d’aller à l’assaut des salles mythiques Sorano, Grand Théâtre et Cie…
Une telle vie, vécue « 100 à l’heure », n’offre pas de recul, ni de perspectives heureuses. Non plus elle ne s’ordonne. Certes, « il faut que jeunesse se passe » mais qui pour les préparer à des « carrières fécondes » ? En plus, très souvent ils sont plusieurs à entrer en concurrence sans règles pré-écrites, à se lancer des défis inouïs au grand plaisir des « entrepreneurs de shows » qui tirent avantage des misères de ces artistes en déshérence.
L’absence de facteur moral explique les brèves apparitions et les soudaines disparitions sans compter les milliers de « sans culottes » abandonnés au ras des podiums. Dès qu’émerge un talent, il est vite happé par les « guetteurs » qui l’étouffent pour le domestiquer.
Ceux, rares parmi eux, qui osent s’affirmer sans « respect des codes du milieu », sont vite repérés et mis à l’index ! Rien ne les protège. Ils vivent dans un monde impitoyable constellé de « petits meurtres », de dénigrement encouragé par des intermédiaires ratés.
Les mêmes polluent l’atmosphère et entretiennent la fragilité pour tirer profit de cette naïveté ambiante au cœur d’un univers de créativités qui se cherche une voie de prospérité durable. Or le monde des arts demeure un creuset d’opportunités et de création de valeurs.
Sous d’autres cieux, les facteurs de réussite jalonnent le parcours des artistes. Prévoyants, les assureurs planchent sur les coefficients et les gains à affecter à ces « acteurs en herbe ». Les banquiers accourent avec des propositions pour, à leur tour, fructifier les revenus tirés des recettes. On le devine, les avocats et les juristes ne ratent pas pareil banquet !
L’emballement des prestations dont bénéficie un « talent en devenir » protège ce dernier des prévarications, des dangers, des trahisons, des « coups fourrés », des maladresses et des pièges. Les familles peuvent encourager grâce au soutien qu’elles apportent naturellement, en qualité de « premier cercle de refuge ». A elle de canaliser les envies du rejeton.
Au Sénégal, une telle organisation n’existe pas pour encadrer les voies de réussite. Notre pays n’intègre pas la dimension contributive des Arts à la formation du PNB. Les dirigeants se contentent de couper des rubans symboliques, de dévoiler des plaques ou de serrer des louches sans trop se soucier de « démarquer » ce secteur dont la richesse potentielle est une source pérenne de croissance.
Les médias n’échappent pas à cette revue des négligences. Elle s’intéresse très peu aux enjeux que charrient les Arts divers pour ne se contenter que des faits divers touchant les artistes. Leur curiosité pourrait s’attarder sur le travail de fond, les engagements, les thématiques, les atouts, les agendas, les festivals, les programmations, les valorisations éventuelles.
En ne se focalisant que sur les « ruineuses rivalités » les médias portent tort à la culture et à ses acteurs dont la diversité est en soi une inépuisable source de richesses. Plutôt que de mettre en selle, voitures, montres et bijoux, les médias ont pour rôle de souligner les progrès des uns et des autres, de cerner leur ancrage, leurs racines, leur attachement à leur terroirs pour y célébrer des valeurs auxquelles s’identifieraient les fan’s, les amoureux, et les sympathisants éventuels.
Dakar, consacre des talents en même temps qu’elle les étouffe faute d’horizons élargis. Après tout, les infrastructures et les moyens d’épanouissement restent concentrés dans la capitale. Déniche-t-on des virtuoses nouveaux qui résistent aux tentations et aux mirages urbains ?
Les régions peuvent, à cette fin, être des jauges où s’extériorisent d’autres sonorités, d’autres répertoires, d’autres têtes d’affiches en association avec des communes en quête de notoriété.
A cet égard, la Préfecture de Bakel est un monument architectural très peu mis en évidence. Les nombreuses gares ferroviaires, tombées en désuétude, sont des haltes que des évènements culturels pourraient mettre en lumière à des occasions espacés pour cristalliser des attentions et soulever des passions d’enracinement, à l’image du Festival de Jazz de Saint-Louis tel que conçu à ses origines.
Ce réveil des potentialités et les externalités qu’il induit est de nature à convaincre des mécènes de proximité pour « rallier » la ruralité et la connecter à la modernité ambiante. Transformer une difficulté en force, voilà le seul chantier qui vaille !
Les gens des campagnes qui nourrissent les villes peuvent trouver dans les arts (musiques, danses, théâtre, chorégraphies) le trait d’union de deux mondes complémentaires et non opposables. La mort de Aziz Dabala illumine la fugacité et la fragilité d’acteurs culturels en quête d’une vie réelle et non empruntée sous les lambris.
Par Mamadou NDIAYE