Selon les théoriciens néo-libéraux, grands défenseurs de l’ordre occidental établi, l’Afrique du 21ème siècle serait au cœur du développement économique mondial, prenant la suite des pays asiatiques, centres de la fabrique des produits industriels du monde durant le 20ème siècle.
Ce grand mensonge a été accompagnée d’une littérature économique abondante de théoriciens occidentaux du développement à usage d’endormissement, dont nos dirigeants se sont inspirés pour bâtir à la va vite, des programmes économiques du style « Plan Sénégal Emergent).
Aujourd’hui, ce narratif ne tient plus, ainsi que les concepts qui l’accompagnent considérés comme des atouts (« Dividende démographique », « croissance à 2 chiffres » « émergence économique » , « classe moyenne » etc..).
La réalité est que l’Afrique demeure encore figée dans un rôle de pourvoyeur à faible coût de matières brutes transformées hors du continent et de réceptacle des produits industriels et agricoles fabriqués ailleurs.
A la place, l’Afrique parle d’elle-même de transformation industrielle de ses ressources naturelles, de transformation structurelle de l’économie, de développement économique endogène et d’intégration économique régionale.
Les discours des dirigeants du monde sur l’Afrique deviennent plus clairs.
« Nous sommes là pour nos intérêts » dit de façon explicite le Président Macron.
Dans la ligne de la préservation des intérêts français nés du partage de Berlin, le Général Lecointre, ancien chef d’état-major des armées de la France, a fait une déclaration qui résonne encore :
« le destin de la France se joue entre la Méditerranée et l’Afrique. On va essayer de convaincre les européens d’intervenir collectivement. Nous ne devons pas laisser un continent s’enfoncer dans le chaos et la guerre civile, avec la destruction des appareils d’état et de gouvernements.
L’Europe se transformera en entité politique, et ira défendre ses intérêts y compris au moyen de l’engagement de ses armées ».
Ces propos sont en droite ligne d’une conception des rapports entre la France et l’Afrique, faisant de l’ancienne puissance coloniale, le propriétaire légitime des ressources naturelles du continent, ce que les indépendances formelles avaient fini par faire oublier.
La guerre entre la Russie et l’Ukraine a joué un rôle de déclencheur dans ce passage d’un poker menteur à la clarification des positions sur l’Afrique.
La déclaration du Président russe d’affaiblir la France en soutenant les régimes souverainistes de son pré-carré, en réaction aux sanctions et au soutien de celle-ci à l’Ukraine, a fait dériver le conflit européen vers le continent.
Un pas de plus a été franchi avec la récente déclaration de diplomates de l’ambassade de l’Ukraine au Sénégal suggérant « un soutien clair à l’attaque perpétrée dans le Nord Mali, par des rebelles Touaregs et des membres du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM) contre les Forces Armées du Mali (FAMa) », et ce sans aucune condamnation du camp occidental, aura suffi pour acter le transfert du champ de bataille européen en Afrique.
Rappelons que cette situation n’est pas inédite, car en 2022, l’ambassade de ce pays avait déjà fait appel aux jeunes d’Afrique pour leur enrôlement dans l’armée ukrainienne à partir de notre territoire. Cela avait conduit le ministre des Affaires étrangères du Sénégal de l’époque, Mme Aissata Tall Sall, à émettre une note de protestation en direction des autorités consulaires de ce pays.
On peut en conclure qu’il y a indiscutablement dans ces propos et actes, une volonté manifeste d’opposer le Sénégal au Mali considéré comme l’allié de la Russie.
La guerre entre les pays de l’AES et les rebelles « touaregs, djihadistes terroristes » connait un regain d’intensité en cette année 2024.
C’est dans ce contexte de guerre qu’il faut apprécier les différends entre la CEDEAO et les pays de l’AES.
Concernant la CEDEAO, 50 ans d’existence auront largement suffi pour constater son échec à bâtir une économie régionale intégrée, un de ses objectifs majeurs.
À l’examen des flux commerciaux entre États membres (12 15%, contre 60% entre l’Europe et la CEDEAO) l’intégration économique sous-régionale est restée au stade de velléité.
Aujourd’hui, l’organisation communautaire est confrontée au défi sécuritaire dans son espace.
Par le passé, elle est militairement intervenue dans des pays membres en proie à des crises politiques ou en guerre civile (ECOMOG au Libéria, en Sierra Leone, en Guinée Bissau, en Gambie, en Côte d’Ivoire).
Là, il s’agit de faire face à la menace terroriste contre laquelle l’ancienne puissance tutélaire avait mené des opérations (Serval et Barkane) qui n’avaient pas abouti à l’éradication de la menace.
Dès lors, on peut comprendre que les populations des pays agressés aient érigé le besoin de sécurité en priorité absolue, avec comme conséquence le soutien aux coups d’états militaires, quitte à mettre en second plan les principes de conquête du pouvoir par la voie démocratique.
Ces coups d’états au Mali, au Burkina et au Niger ont été populaires, parce que considérés par les populations comme l’ultime recours contre les forces terroristes.
Fallait-il manifester de la tolérance envers ces régimes ayant pris le pouvoir par des méthodes aux antipodes de la démocratie (coups d’états), mais bénéficiant du soutien des peuples, ou alors les sommer de rentrer dans les casernes et de restaurer l’ordre démocratique existant, même si ceux-ci se sont montrés impuissants à vaincre le terrorisme ?
La CEDEAO a choisi la seconde option, et ce faisant, s’est mise à dos la jeunesse, principale composante des populations d’Afrique ; celle-ci s’est sentie laissée à elle-même, n’ayant par conséquent d’autre alternative que de se souder aux seules forces en mesure de défendre l’intégrité territoriale et la sécurité de ses populations.
À cet effet, la CEDEAO a ordonné le 10 août 2023, le déploiement de sa « force en attente » pour rétablir l’ordre constitutionnel au Niger sans pour autant apporter de solutions sur la question sécuritaire, ce qui a constitué une grave erreur.
Aujourd’hui, après le déploiement d’une panoplie de sanctions contre les « golpistes », la CEDEAO revient pour demander le retour de ces pays en son sein, alors que ces derniers ont entretemps, créé l’Alliance des Etats du Sahel.
La problématique de l’utilité de la « vieille dame » se pose désormais dans les termes suivants :
A quoi sert une organisation communautaire qui ne vous assiste pas lorsque votre existence est menacée, et au contraire vous inflige des sanctions économiques et financières ?
La demande de retour des pays dissidents est-elle liée à un changement profond de l’organisation sur l’économie et la sécurité ?
Quid de l’ECO ?
Quid de l’intégration économique régionale qu’elle était censée réaliser depuis 1975, via la création d’un espace économique homogène ?
Concernant l’intégration économique, la réorientation de flux commerciaux en direction des membres de la CEDEAO est la principale condition de sa faisabilité.
Ces questions exigent des réformes à mener sans tarder, et des actes forts pour convaincre.
Il s’agit d’œuvrer en urgence pour faire de l’organisation le fer de lance d’un développement économique sous-régional endogène, mais également la principale force de sécurité en Afrique.
Au plan économique, de larges concertations d’opérateurs privés, de responsables étatiques et d’institutions financières régionales et internationales doivent être lancées.
Cela devra être précédé par l’organisation d’états généraux du commerce intra régional afin d’identifier les opportunités de renforcement des flux commerciaux en question.
La question sécuritaire demande, quant à elle, des réflexions approfondies sur la problématique de la mutualisation des moyens de défense, à l’instar de ceux mis en œuvre entre les pays de l’AES.
Le Sénégal n’est pas (pas encore) dans la ligne de feu du terrorisme, bien qu’il doive redoubler de vigilance ; d’aucuns affirment d’ailleurs que son statut de nouveau pays pétrolier le prédispose à entrer dans le cercle des pays africains nantis en ressources naturelles, alors qu’il n’aurait aucune légitimité à en bénéficier.
Ce type de déclarations sont un appel à peine voilé aux forces obscures qui font le malheur des populations africaines au Nigéria, dans les pays de l’AES, en Libye et partout ailleurs dans le monde.
Conclusions
Les peuples des pays de l’AES plaident pour l’entrée du Sénégal dans cette organisation, suite au changement de régime ayant porté au pouvoir des adeptes du souverainisme panafricain.
Des réponses claires ont été données à cette question par le Président Bassirou Diomaye Faye et son Premier Ministre Ousmane Sonko, sur lesquelles il ne nous semble pas utile de revenir.
En réalité la question se pose dans les termes suivants :
Faut-il casser la CEDEAO parce qu’elle serait prise en otage par des chefs d’états non adeptes de la rupture avec une France impérialiste, pour créer (ou rejoindre) une nouvelle organisation ?
Une 3ème voie ne devrait toutefois pas être exclue, à savoir rester dans la CEDEAO pour en changer le logiciel de fonctionnement au profit d’une véritable intégration régionale et d’une sécurité renforcée pour la défense de l’intégrité territoriale et la sécurité des populations.
Quelle que soit l’option qui sera retenue à brève échéance, l’alliance sécuritaire entre pays d’Afrique de l’Ouest ne devrait pas induire ipso facto la réalisation d’une intégration économique sous-régionale.
Cette intégration économique devra être examinée en fonction de dynamiques de croissance et de développement, sous-tendues par des entreprises nationales (grandes moyennes et petites) ouvertes sur le marché sous-régional afin de générer des flux commerciaux et financiers, des partenariats aptes à réorienter le commerce extérieur centré l’Europe vers la sous-région.
Au plan sécuritaire, les sanctions de tous ordres visant à isoler les pays de l’AES du reste de l’Afrique de l’Ouest sous le prétexte de non-respect des principes démocratiques d’accès au pouvoir, doivent être levées, car l’heure est à l’union contre la menace terroriste.
Abdoul Aly KANE