Au Sénégal, plus de 86 000 malades ont été recensés dans les centres psychiatriques en 2020. D’après l’Association sénégalaise pour le suivi et l’assistance aux malades mentaux (Assam), le Sénégal dispose plus de 4000 malades mentaux errants dans la capitale, Dakar. Pour soulager ces malades et leurs parents, le Sénégal, au-delà des centres psychiatriques et le traitement traditionnel, a mis en place une structure communautaire financée à hauteur de 800 millions de F CFA. Cette enquête est réalisée avec le soutien de la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (Cenozo) dans le cadre du projet «Renforcer le journalisme de solutions sur la santé et le développement durable». Bes Bi nous permet ici de voyager dans les méandres de ce centre.
En cette matinée de mars 2024, le temps est un peu clément à Kaolack. La température n’affiche pas une chaleur suffocante comme on a l’habitude de le voir à cette période de l’année dans le Saloum, Bassin arachidier. Dans cette ville, au centre du Sénégal, se dresse le foyer Ansoumana Dione qui accueille des personnes atteintes de maladie mentale. La majorité des internés ont été retirés des rues dans lesquelles ils ont passé une bonne partie de leur vie. C’est le cas de Moussa Diallo, ancien militaire, errant depuis 20 ans. Il est le premier souffrant atteint de maladie mentale à être retiré des rues de Dakar par l’Assam. Assis, ce matin-là, plongé dans ses pensées, il assiste au ballet incessant des encadrants du centre. «On m’a beaucoup parlé de cet ancien militaire qui s’est énormément donné pour
son pays et qui est entré dans la démence», lâche Ansoumana Dione, le président de l’Assam. Moussa souffre de démence dont le taux de prévalence au Sénégal s’élève à 9,1%, avec une proportion de 45% pour la maladie d’Alzheimer selon les statistiques publiées en 2023. Les troubles ont commencé après son retour d’une mission de l’armée sénégalaise. «Un matin, il s’est réveillé dans la maison familiale dans une situation terrible», se rappelle son frère aîné, Amadou Diallo, un de ses accompagnants au Centre Ansoumana Dione. «Le jour où nous avons senti que notre frère est un malade mental, c’est lorsqu’il a demandé à coucher avec sa propre maman. C’était le summum. Au départ, nous l’avons amené au centre psychiatrique de Thiaroye. Les médecins avaient diagnostiqué des troubles psychiques. Mais les choses ont empiré», poursuit Amadou. La situation de Moussa Diallo se détériore au fil des années. L’ex-militaire décide d’abandonner la maison pour la rue, loin des siens. Il y restait des semaines, sans nouvelles, et cela a duré une décennie.
Le centre d’assistance et de suivi des malades mentaux, le salut
La situation de Moussa Diallo n’est pas un cas isolé. En 2020, le nombre de malades mentaux a augmenté conformément à la tendance mondiale. «Nous avions enregistré 86 547 dans nos structures psychiatriques et 3 515 cas d’hospitalisation», déclarait le docteur Babacar Guèye, responsable de la lutte contre la maladie dans le pays, en présidant la cérémonie d’ouverture de la 29ème Journée mondiale de la santé mentale, célébrée pour la première fois au centre de santé mentale Dalal Xel de Thiès. Le Sénégal, à l’instar de plusieurs pays de l’Afrique de l’Ouest, essaie, tant bien que mal, d’apporter des réponses aux maladies mentales à travers ce centre d’assistance et de suivi des personnes souffrant de troubles mentaux construit avec l’appui de l’ex Président sénégalais, Macky Sall, et inauguré en décembre 2023 à Kaolack (dans le centre-ouest du pays, près de la frontière de la Gambie). Plus d’une centaine de malades séjournent dans ce lieu communautaire, le premier du genre au Sénégal, considéré comme une arche où sont repêchés «ces naufragés», abandonnés le plus souvent par la société. «Ici, au centre, tout est gratuit. Nous avons des infirmiers et un assistant social qui s’occupent de l’administration des médicaments suivant la prescription du médecin traitant», affirme Ansoumana Dione. Le centre est bâti sur un espace de 4 hectares. C’est un grand immeuble de plusieurs chambres soigneusement aménagées pour les patients et leurs accompagnants. Depuis la création de l’Assam en 2000, Ansoumana Dione et ses camarades ont été les porte-parole et avocats des malades mentaux. L’objectif, c’est d’éradiquer l’errance de ces «damnés» au Sénégal où le nombre a pris une pro- portion très inquiétante.
Boudal NDIATH