Les dirigeants du monde entier convergent vers New York. La mégalopole américaine abrite le siège des Nations Unies où se tient annuellement son Assemblée générale. Sous l’égide de l’Allemagne et de la Namibie, un pacte d’avenir est conçu pour engager les Chefs d’Etat à « renforcer le système multilatéral » afin de « suivre le rythme d’un monde qui change !»
Personne ne songe à rater ce rendez-vous unique, à la fois vitrine et tribune exceptionnelle pour soulever des problématiques qui préoccupent l’humanité : ressources, guerre, climat, déséquilibres régionaux, crises économiques et financières multiformes, inégalités, migrations, discrimination, technologies et conquêtes de l’espace.
Plusieurs voix s’expriment à l’occasion. Pour n’avoir pas la même lecture du cours des évènements, ces voix divergent sur la perception, l’appréciation, le narratif et bien évidemment sur les solutions à préconiser. Elles abordent sous des angles différents ces sujets de grande délicatesse et complexes et d’inégale gravité.
Certains chefs d’Etat ou de gouvernement plus en vue que d’autres ravissent la vedette et cristallisent les attentions en transposant sur la scène publique les passions, les haines les craintes et les admirations.
Mais a-t-on conscience que les enjeux et les dangers mondiaux rendent décisifs les choix à opérer ? La guerre Russie-Ukraine s’enlise tout en tenant en haleine les opinions occidentales partagées entre soutien et indifférence à un jet de pierre de leurs frontières.
Au Moyen-Orient se déroule à huis clos une tragique confrontation opposant Israël au Hamas d’un côté et auHezbollah dans le sud Liban d’autre part. L’ONU, par la voix de son porte-parole alerte sur l’extension du conflit qui, en se prolongeant, se généralise à l’échelle d’une région hantée par les radicalités.
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, doté d’un instinct « infaillible », reste sourd à tous les appels et s’entête à ne croire qu’à la force pour espérer dominer la région. Peine perdue.
Toutefois, il est entouré de radicaux et d’extrémistes qui déconstruisent l’histoire dans un but prédéfini : rejet de toute coexistence de deux Etats (palestinien et israélien) etpacification de l’espace avec protection d’Israël sur des frontières sûres et reconnues.
Par sa brutalité (militaire) Netanyahou donne le sentiment que sa puissance assure et rassure. Sa doctrine unilatérale, de surcroît hors d’accès à toute concession, pourrait lui coûter cher. L’incertitude de l’élection américaine favorise sa fuite en avant puisque, pense-t-il, aucune pression ne peut s’exercer sur lui en ce moment.
Biden termine son mandat. Il ne peut dès lors le contraindre à plus de réalisme. En réclamant plus d’armes que ne peut lui refuser le Congrès, il contente (et satisfait) le lobby juif à équidistance des deux candidats, le républicain Trump et la démocrate Harris au coude-à-coude dans les sondages et les intentions de vote.
L’actualité reste brûlante et difficile cependant. En clair, l’angélisme ne sied pas. Puisqu’il faut de tout pour faire un monde, les efforts se conjuguent à tous les temps sur de nombreux théâtres d’opérations. L’Afrique en est un où se joue une partie du destin de la planète.
En principe ses dirigeants, qui adorent les sommets et leurs rituels grandiloquents, devraient se concerter davantage sur les questions de l’heure. Or ils arrivent en ordre dispersé et très peu préparés à forcer l’écoute ou à imposer par de solides arguments leur conception d’un monde plus pacifié.
Deux semaines plus tôt, les Etats-Unis proposaient, via leur représentante aux Nations Unies, l’ambassadrice Linda Thomas-Greenfield, donnait un aperçu des priorités de son pays pour la 79ème Assemblée générale. Elle n’avait pas manqué de souligner la nécessité pour l’Afrique d’acquérir deux sièges au sein du Conseil de Sécurité sans « droits de vote », s’empressait-elle d’ajouter pour lever toute équivoque.
Mollement accueillie, l’initiative américaine ne réjouit que très peu. Car elle ne fait nullement évoluer cette requête débattue depuis plus de quinze ans dans toutes les instances internationales.
Le Sud-Africain Cyril Ramaphosa est le premier à rejeter la proposition, estimant qu’elle humilie l’Afrique toute entière plus qu’elle ne la promeuve. A quoi bon intégrer ce « hub de puissance » si c’est pour se taire et ne pas avoir justement « voix au chapitre », fulmine l’ancien enfant terrible de la lutte anti-apartheid. Jusqu’à ce jour c’est le seul à s’être prononcéouvertement sur cette question.
D’autres dirigeants africains se taisent mais n’en pensent pas moins. Ils caressent tous le secret rêve de se profiler en candidats à la candidature en s’appuyant sur le parcours de leurs pays respectifs.
Des hommes politiques qui manipulent le jeu électoral méritent-ils d’être au nombre des élus heureux ? Ceux qui s’éternisent au pouvoir peuvent-ils jouir de ce statut envié de membre du Conseil de sécurité où se décide le sort de l’humanité ? D’autres encore, très peu regardant sur la transparence comme mode de gouvernance, doivent-il se prévaloir de ce titre prestigieux ?
En vérité l’accès au Conseil de Sécurité ne s’acquiert pas. Il se conquiert. Acquis par un moyen biaisé, il postule d’emblée un discrédit qui ne tarderait pas à apparaître au grand jour. Par conséquent, il y a cent nuances de leadership en Afrique. Autrement dit, autant de divisions que de versions démocratiques !
Comment, dans ces conditions, faire l’union à plusieurs ? Surtout l’union des égoïsmes, « chose la mieux partagée en Afrique » ? Le Maroc et l’Algérie seront-ils condamnés à s’entendre tout en surveillant l’Egypte qui pourrait être le… « troisième larron » susceptible de ravir le trophée si d’aventure le Maghreb devrait se l’adjuger ! Comment départager l’Afrique du Sud et le Nigéria qui bandent partout les muscles de champion toutes catégories ?
Et l’Afrique francophone dans ce méli-mélo ? Les silences de la Côte d’Ivoire et du Sénégal sont, à cet égard, éloquents pour détecter des signes de faiblesse d’une trajectoire très peu reluisante. Il y a certes de part et d’autre une démocratie apaisée avec, côté ivoirien, une pacification de l’espace politique au gré du vieillissement des premiers acteurs et, côté sénégalais, une réelle assise de l’alternance mais fragilisée par l’absence de socle consensuel que protègerait une Constitution hors de portée de « mains tremblantes ».
L’air du temps est au louvoiement. Nous n’en sommes qu’au début des manœuvres. Les témoignages affabulateurs affluent. Les divisions vont s’accentuer par le truchement d’inquisiteurs chassant en meutes sur fond de suspicion et de délation.
Le réel affaiblissement de l’Union africaine est venu de là. Tout était prétexte à la dispute : chaque poste devant revenir à un pays faisait l’objet d’âpres tractations entre plénipotentiaires qui allongeaient indéfiniment les conclaves devenus lassants, rébarbatifs et insipides. Agonise-t-elle ?
Qui plus est, en toutes choses, les pays se montraient en « membres fondateurs » à l’exception des cotisations dont rares sont (encore) les Etats qui s’en acquittent. Les questions d’intégration soulèvent peu de passion. Le pouvoir se dépersonnalise. Le charisme tient lieu de viatique.
Par Mamadou Ndiaye