Le gouvernement sénégalais vient de publier l’état des lieux de l’économie. Il en est ressorti notamment :
1- un surfinancement convenu avec le FMI de 605 milliards à fin 2023 mais qui a servi à faire face à des dépenses non budgétisées ;
2- des contre-vérités sur le déficit budgétaire annoncé au cours des 5 dernières années (2019-2023) de l’ordre officiellement de 5,5%, finalement dépassant les 10,4 % ;
3- une dette rapportée au PIB sous-estimée à 69% alors qu’en réalité elle dépasse les 83 % !
4- Des dettes non publiées de plus de 1 892 milliards le franc CFA.
Cet exercice gouvernemental de transparence a même oublié de souligner des taux de croissance surestimés volontairement pour des raisons budgétaires et de communication.
Dans une interview accordée à la RTS, la Radiotélévision sénégalaise, le 18 septembre dernier, nous avions estimé que la situation était grave et avions posé le problème de la responsabilité possible des institutions de breton Woods notamment du FMI par rapport à la survenue de cette situation. Comment une organisation aussi importante que le FMI chargée de veiller au bon fonctionnement du système financier international a-t-elle pu être trompée à ce point ? Ses équipes sur place ont-elles été à la hauteur notamment au plan professionnel et éthique ?
Lorsque j’étais à la Banque ouest africaine de développement (BOAD), à chaque fois qu’un État ou une entreprise privée nous sollicitait pour un financement, nous ne nous limitions pas seulement à valider leurs hypothèses de travail. Nous procédions toujours à une évaluation rigoureuse des chiffres que nous n’hésitions pas à remettre en cause. Comment est-ce qu’une organisation aussi importante que le FMI a-t-elle pu laisser faire une situation pareille ? C’est gravissime. Une enquête devrait être ouverte au sein de l’institution pour situer les responsabilités de ses équipes dans cette carence.
En attendant, je félicite les nouvelles autorités sénégalaises qui ont fait preuve de 3 attitudes vertueuses clé dans cet exercice que j’appelle par le PRC (Prudence, Responsabilité, Courage) :
1- la Prudence. Malgré toutes les dénégations et critiques essuyées au cours de ces derniers mois, elles ont laissé le processus de vérification prendre tout le temps nécessaire avant de publier les résultats. L’Inspection générale des finances et la Cour des comptes ont été mises à contribution. Cette patience reflète un nouvel état d’esprit résilient.
2- la Responsabilité. Puisqu’elles n’ont pas accepté d’entrer dans le jeu facile de la mobilisation de la ligne de crédit de 1,820 milliards de dollars (près de 1100 milliards de FCFA) négociée par les anciennes autorités, sans avoir fait au préalable un état des lieux et renégocier les conditions y attachées. Pourtant de nombreux observateurs avaient pensé que le blocage des décaissements provenait du FMI.
3- le Courage, dans la mesure où un tel exercice de transparence et de vérité présente les risques de voir le marché dégrader la note du Sénégal et rendre problématique ses stratégies d’endettement. Cependant, les nouvelles autorités ouvrent également la possibilité du financement de l’économie sur une base endogène si jamais le marché devait exprimer des velléités de refus. C’est à saluer.
À un journaliste qui me posait la question de savoir si finalement les stratégies d’endettement du Sénégal ne seraient pas remises en cause, je lui disais que bien au contraire, cet exercice vertueux de responsabilité et de transparence a l’avantage d’être une première dans une alternance démocratique en Afrique et devrait paradoxalement susciter la confiance notamment au niveau des partenaires bilatéraux qui se rendent compte enfin d’avoir des interlocuteurs fiables.
En attendant, des enquêtes devraient être ouvertes au niveau des partenaires financiers du Sénégal pour situer la responsabilité de leurs propres équipes dans ces déconvenues.
Magaye GAYE
Ancien Cadre de la BOAD