Il est des moments où l’Histoire retient son souffle, où chaque mot écrit résonne avec force dans la conscience collective d’un peuple, d’un continent, d’une humanité entière. À l’aube des élections présidentielles en Côte d’ivoire, une problématique complexe et souvent controversée refait surface : la double nationalité de certains candidats!
Après avoir conquis la scène internationale : McKinsey, Prudential, Crédit Suisse, voilà que Tidiane Thiam, l’enfant prodige de Côte d’Ivoire, technocrate devenu figure politique, semble signer un retour aussi symbolique que stratégique.
Le premier chapitre de Thiam en politique ivoirienne remonte aux années 90, sous Henri Konan Bédié. Un ministre jeune, brillant, mais éjecté au gré des tempêtes du pouvoir. Puis l’exil, le prestige international, les conseils au sommet de Davos. Et aujourd’hui, son retour marque une sorte de revanche élégante. Il n’a pas crié, il n’a pas combattu à l’ancienne. Il a attendu son moment.
Mais ce « come-back » soulève aussi des questions. Car Thiam ne revient pas seul, il revient avec une image, une aura. Il incarne cette élite africaine mondialisée, formée à l’Occident, mais qui revient souvent trop propre pour affronter la poussière politique locale.
Si Tidiane Thiam est écarté de la course électorale pour cause de double nationalité, alors on entre de plein pied dans le théâtre bien rôdé du pouvoir africain, où la loi n’est jamais un bouclier, mais une épée utilisée selon les intérêts du moment.
Il devait incarner une alternative. Un nom qui rassure les chancelleries, qui séduit une partie de la jeunesse, et qui fait trembler l’establishment ivoirien. Mais la course de Tidiane Thiam semble s’arrêter là, non pas sur un échec politique, mais sur un prétexte juridique : sa double nationalité.
En apparence, l’argument est simple : la Constitution interdit les candidatures à ceux qui possèdent une autre nationalité. Dans les faits, il s’agit d’un écran de fumée. Car dans le jeu politique africain, les textes ne sont appliqués que lorsqu’ils servent à écarter un adversaire trop sérieux. Cynisme pur. Justice sélective.
Ce n’est pas la première fois que la double nationalité devient une arme en Afrique.
L’opposant Karim Wade et fils de l’ancien président de la république Sénégalaise Abdoulaye Wade s’est vu écarté de la course à la magistrature suprême lors des dernières des élections présidentielles au Sénégal à cause de sa double nationalité française.
Et c’est là que le système révèle sa vraie nature : il préfère neutraliser que débattre, exclure que convaincre. Derrière la façade d’un État de droit, les vieilles recettes persistent : instrumentaliser la loi pour se débarrasser de ceux qu’on ne peut pas battre dans les urnes.
Pourtant, de nombreux dirigeants, élites économiques et intellectuelles en bénéficient eux-mêmes. Ce paradoxe alimente une certaine forme de cynisme politique : on l’interdit à certains citoyens mais on l’utilise à des fins personnelles quand on est au sommet.
Si certains États africains craignent que la double nationalité dilue le sentiment d’appartenance nationale, voire menace la souveraineté, d’autres y voient au contraire une ouverture bénéfique pour les diasporas, les investissements et les transferts de compétences. Mais souvent, les lois restent floues ou arbitrairement appliquées.
Il faut rappeler qu’au Tchad, au Cameroun ou encore en République démocratique du Congo, pour pouvoir être candidat à l’élection présidentielle, le candidat ne doit pas détenir une autre nationalité que celle de son pays d’origine. Ceci s’explique par le comportement de personnalités politiques africaines qui ont profité de leur double nationalité pour sécuriser des avoirs ou trouver refuge en cas de troubles.
Si dans le passé des candidats détenteurs de la double nationalité ont rencontré les mêmes difficultés, cette fois, c’est toute une génération qui regarde. Et qui comprend que le combat n’est pas seulement électoral, il est structurel !
Mama TOURE
Chargée des affaires internationales
Développement – Coopérations bilatérales