La semaine dernière, les armes ont tonné à l’ouest du Mali, dans la région de Kayes voisine du Sénégal. La menace se précise. Pire, elle se rapproche. Faut-il en avoir peur ? Sûrement.
Pour autant qu’elle soit mauvaise conseillère, elle engendre tout au moins une prise de conscience du danger. Désormais, il faudra apprendre à vivre avec l’appréhension sans toutefois verser dans l’indifférence ou la désinvolture.
Depuis quelques temps, des voix audibles voire crédibles ne cessaient d’alerter sur l’insécurité à notre frontière méridionale. L’une de ces voix, « libérée » des pesantes charges de ses hautes fonctions antérieures, a cru bon, par devoir, d’interpeller les Sénégalais sur certaines légèretés coupables.
Le manque de vigilance pourrait nous coûter cher. Très cher même ! Au lieu de baisser la garde, c’est le moment d’ouvrir grand les yeux, de ne point verser dans la naïveté en se laissant facilement tromper.
Bien évidemment, l’inexpérience des situations tragiques peut pousser nombre de compatriotes à se montrer crédules ou candides alors que l’heure est au soupçon face aux attitudes illisibles d’autrui. Il faudra néanmoins éviter la délation par un simple excès de méfiance.
Sous ce rapport d’ailleurs, les populations sont appelées à coopérer avec les forces de défense et de sécurité, seules dépositaires de la protection « contre les agressions armées, les incursions ennemies, et les menaces extérieures. »
En clair, ces forces mettent en place des mesures pour anticiper et prévenir les menaces, « qu’elles soient terroristes, criminelles, ou naturelles. » Dès lors, rien ne doit être laissé au hasard.
Or les Sénégalais aiment parler. Ils adorent spéculer. Ils ont longtemps goûté aux délices de la liberté pour ne pas songer à y renoncer « même par nécessité ! »
En revanche, une rectification de comportement n’est l’as à exclure si c’est le prix à payer pour pérenniser notre modèle de vie, « envié et admiré ».
Mais attention : nous ne sommes pas une « oasis au beau milieu d’un océan de troubles ! »
La trajectoire actuelle du Sénégal a mis du temps à se dessiner à travers des décennies de luttes menées par d’intrépides devanciers. Ainsi, la préservation de ces acquis constitue à la fois un hommage permanent et une attachante reconnaissance à ces visionnaires.
En ces temps troubles, quiconque veut investir songe avant tout à le faire dans des territoires accueillants et hospitaliers. Or dans divers secteurs d’activités, on assiste à un gel des investissements et à une perte d’emplois.
Dans les situations d’exception, les droits des individus et les devoirs des institution ont tendance à être ensevelis pour dire le moins. Si bien que les régimes qui étouffent les libertés compromettent du même coup toutes les initiatives de création, de transformation ou d’échanges.
Le commerce entre les hommes mis hors jeu, les économies sont en berne avec comme fâcheuse conséquence une situation récessive pouvant alors déboucher sur tous les excès et des abus ou les inflexions de dirigeants non élus.
En de pareilles circonstances, même les médias sont assujettis à la loi de l’omerta ! Pas d’images, pas de décision ! Circulez… La restriction des libertés est vécue comme « une prison à ciel ouvert » tandis qu’ailleurs est perçu comme le lieu d’épanouissement de l’individu. Au Bénin, en Côte d’Ivoire ou au Sénégal.
La cohésion nationale vole en éclat et le « sauve-qui-peut » se présente comme la voie de salut par rapport au poids étouffant de l’ordre kaki « redouté, craint » et inspirant « peu de confiance » malgré les affluences des foules le long des parades des galonnés.
La mosaïque de situations, tant dans la région que dans la sous-région, dénote une déconstruction progressive et aléatoire de l’intégration économique du continent qui se fissure du reste à vue d’œil.
Existe-t-il des voix discordantes ou d’objection dans cet espace qui se transfigure hélas ? D’Accra à Abuja en passant par Abidjan ou Dakar, aucune voix ne s’élève contre le phénomène rampant des « huis clos » qui, parce qu’ils se ressemblent s’assemblent et se projettent vers d’autres horizons exclusifs.
Pour longtemps, l’Afrique de l’ouest va s’exposer à des divisions qui, fatalement, l’affaiblissent alors qu’elle présentait jusque-là le projet le plus avancé en matière d’intégration des économies avec des infrastructures dédiées.
Les bruits de bottes entendus depuis le Mali voisin sont diversement interprétés au Sénégal. D’aucuns redoutent que la « frontière-gruyère », qui est déjà une « poche de vulnérabilité », ne soit perçue comme la porte d’entrée ou le ventre mou par lesquels la vigilance est déjouée ou mise à rude épreuve.
Doit-on craindre l’existence de cellules dormantes susceptibles de se réveiller à mesure que se multiplient les incidents majeurs ? Vu de Dakar, ce qui se passe à Kayes paraît lointain. Erreur de perception.
Il s’y ajoute que les réseaux sociaux exhibent chaque jour à flux continu des mondanités en cours dans la capitale sénégalaise, signes évidents d’une insouciance décapante aux yeux des tenants d’un prosélytisme radical.
La gravité du moment n’est-elle pas de nature à adopter des postures de modestie, autrement dit, moins opulentes moins ostentatoires ? Rien n’est de trop dans le décryptage des forces et des faiblesses d’une société qui projette la lumière sur la stabilité, l’épanouissement et la cordialité par un resserrement des liens entre communautés qui vivent dans une bonne ambiance de coexistence.
Le contexte est propice à l’éclosion de visions ou de lectures divergentes qui, faute de s’exprimer de manière contradictoire, utiliseraient d’autres arguments indicibles pour parvenir à leurs fins.
Par Mamadou NDIAYE