Le plan « Jubbanti Koom », présenté par le Premier ministre Ousmane Sonko comme une réponse audacieuse aux défis économiques du Sénégal, suscite autant d’espoirs que de vives interrogations. Pensé comme un projet de transformation nationale, il ambitionne de mobiliser 5 667 milliards FCFA sur trois ans, soit près de 38 % du budget cumulé de l’État sur cette période. Pourtant, derrière l’ampleur des chiffres, les fondations économiques du plan semblent fragiles, voire absentes.
Parmi les voix critiques, Abdoulaye Wilane, cadre du Parti Socialiste, souligne l’absence d’un cadrage macroéconomique rigoureux. Selon lui, « aucun indicateur sérieux n’accompagne cette feuille de route : ni hypothèses de croissance, ni projections d’inflation ou de pression fiscale ». Il rappelle que le DPBEP 2025-2027, lui, projette une croissance de 9,7 % et un déficit budgétaire réduit à 3 % du PIB. « Jubbanti Koom avance sans boussole, dans une opacité inquiétante », affirme-t-il.
Cette incertitude se prolonge dans les mécanismes de financement annoncés. Le gouvernement évoque des ressources endogènes, le recyclage d’actifs publics, ou encore le recours à la finance islamique. Mais pour Abdoulaye Wilane, le flou est total : « Quels actifs l’État compte-t-il mobiliser ? Et à quelles conditions ? Le silence est préoccupant, d’autant que ces ressources appartiennent à tous les Sénégalais. » L’absence de coordination avec les institutions financières internationales comme le FMI ou l’UEMOA ajoute, selon lui, une dimension de risque à l’ensemble du projet.
Plus grave encore, selon l’élu socialiste, c’est la nature des mesures fiscales prévues. Il dénonce une pression accrue sur les couches moyennes et modestes, à travers une série de taxes jugées régressives : sur les téléphones, les véhicules usagés, le transport ou les produits agricoles. « Cela va frapper directement les jeunes, les agriculteurs, les petits commerçants. Un étudiant devra payer 30 000 FCFA de plus pour un simple téléphone reconditionné. Une famille rurale verra ses revenus fondre. C’est économiquement inefficace et socialement injuste », prévient-il.
Autre inquiétude soulevée : la recentralisation excessive des leviers d’action à Dakar. Le plan, selon Wilane, ne prévoit ni dialogue structuré avec les collectivités locales, ni transfert de compétences ou de ressources. « Pourtant, ce sont les communes qui sont au front : routes, écoles, dispensaires. Les marginaliser, c’est affaiblir le redressement dès le départ. »
Enfin, Abdoulaye Wilane alerte sur le repli international du pays. Le plan ne mentionne aucune concertation avec les partenaires techniques et financiers habituels. « Le Sénégal ne peut pas avancer seul, surtout dans une conjoncture aussi volatile. Sans crédibilité externe, les conditions d’emprunt vont se durcir et les marges budgétaires vont se réduire. »
Pour Wilane, « Jubbanti Koom » n’est pas un plan de redressement au sens strict, mais plutôt un virage politique, reposant sur des effets d’annonce et des réformes non calibrées. « Un vrai plan de redressement doit être temporaire, ciblé, fondé sur des données solides et une large concertation. Là, on est face à une logique punitive et déséquilibrée, sans trajectoire claire de sortie de crise. »
Il plaide pour une révision urgente du dispositif, avec la suppression des mesures fiscales les plus injustes, la clarification du cadrage économique, l’organisation d’un dialogue national et l’instauration d’un mécanisme transparent de suivi. « Le redressement du Sénégal ne peut se faire sans justice sociale, sans transparence et sans la participation de tous. »
Emedia