Les procès retentissants constituent des leviers d’exposition médiatique. Les publics se passionnent. Toutes les pièces des puzzles sont sur des tables bancales. Les journalistes, emplis d’assurance et de certitude, affûtent « leurs » plumes et ajustent les appareils.
D’avance, les avocats des camps opposés, dodelinent dans les couloirs, les bras lourdement chargés de dossiers. L’épaisseur de la charge ou de la décharge se lit (déjà) sur le volume d’éléments accablant ou disculpant. L’agitation enfle. Les acteurs étudient dans une discrétion feinte les stratégies, les effets de manche, la communication et les parades.
Le sort jette le destin de certains justiciables au-devant de la scène. Ce bref aperçu reflète, sans le traduire, le cours « normal » des tribunaux qui ont droit de vie et de mort sur des prévenus de tous acabits.
Au cœur de cette « faune » pittoresque trône le « cas » de l’homme d’affaires Bocar Samba Dièye, à la une des journaux à chaque verdict du long procès qui l’oppose encore à une banque qui fut la sienne pendant longtemps en qualité de client. Flottait dans l’air un certain âge d’or !
A son corps défendant, son nom est devenu un mot-valise. Et pourtant, à ses heures de gloire, il était de bon ton de s’afficher avec cet homme effacé, chanceux et redoutablement perspicace dans les affaires. Son apparat et son port, toujours invariables, ne le prédisposaient pas à être adoubé dans les cercles « clos » de la bien-pensance bancaire avec ses codes, ses tics, ses allures et ses goûts vestimentaires.
Bocar Samba Dièye n’appartient pas à cet univers. Clairement. Mais sa fortune, si. Ses marchés, oui ! Ses phénoménales transactions le qualifient pour entrer par la grande porte dans les bureaux cossus où il était généralement accueilli « à bras ouverts ». Il maîtrisait les cotations du riz sur les différentes places fortes du monde, notamment en Asie, zone de prédilection de la culture de cette céréale très prisée par les Sénégalais qui ne la cultivent pas hélas ! Il avait toujours la bonne information.
Ces honneurs, à lui faits, ne l’enchantaient guère. Plutôt les appréhendait-il comme des reliques d’un théâtre d’ombre chinois avec des silhouettes encagoulées s’adonnant à un jeu sombre. Il sait seulement que les corbeaux et les renards y ont cours, des amitiés factices se nouent et se dénouent au gré des intérêts et des prébendes.
Mais le vieux Bocar ne manque ni de courage, ni de lucidité. Son détachement incite grand monde à le prendre pour ce qu’il n’est pas : un égaré, de surcroît naïf et « persan ». Par des raccourcis paresseusement empruntés, ces même gens considèrent que ce « magnat du riz » ne comprend rien au monde de la finance dont la complexité apparente masque pourtant une activité d’une renversante simplicité qui n’a pas échappé au regard évasif de ce bout d’homme, prudent et averti, plus taiseux que bavard, plus à l’aise sur le « terrain » que dans les couloirs aseptisés et parfumés.
Le monde des affaires chemine souvent avec les malentendus et les incompréhensions. Quand les litiges s’accumulent, cela sape à la fois le moral et la confiance. Dès lors, il ne reste que les tribunaux pour dénouer les crises entre Gens de bonne Compagnie.
Désormais, s’ouvre à Bocar Samba Dièye un autre univers avec des rites tout aussi singuliers. Balloté de banques à salles d’audience, l’homme s’éloigne de plus en plus de son business qui pâtit de ses absences répétées pour cause de convocations, de réunions, de conciliations, de pourparlers ou de conciliabules.
Son corps frêle se montre résilient face aux épreuves. Il prend de l’âge et ses forces faiblissent, l’abandonnent presque. Les outrages du temps ont fini de faire leur effet. Malgré tout, il est présent à chaque audience. Il s’emmure avec dignité dans un silence que rien ne vient perturber.
Cet « homme pas comme les autres » souffre d’une atteinte à sa dignité. Mais il n’extériorise aucun sentiment sur son visage impassible. Il encaisse. Admiratifs de cette permanente attitude, certains acteurs louent les qualités intrinsèques du milliardaire qui n’en a pas l’air. Où sont les bonnes âmes d’ordinaire toujours prêtes à s’offusquer ou à s’indigner lorsque des valeurs cardinales sont piétinées ou désacralisées ?
Le cas de Bocar Samba Dièye s’impose à nous au nom justement de ces valeurs à défendre. Personne ne souhaite voir son père, au soir de sa vie, fréquenter avec assiduité les lieux de jugement des hommes et moins les lieux de culte. Sous ce seul rapport, la désapprobation aurait pu être vibrante pour soutenir cette icône à l’envers, dont l’honnêteté et la droiture rendent inspirante l’exemplarité de sa trajectoire de vie.
Pas une voix audible ne s’élève pour réclamer une «exigence de décence à son endroit. Les activistes rasent les murs, eux, si souvent prompts à défendre même des causes « perdues d’avance » ! Simplement parce que le « K » Bocar Samba Dièye n’est guère « sexy » pour emporter la conviction de la bruyante militance.
En Afrique et plus particulièrement au Sénégal, nous restons attachés à des acquis valorisants qui nous autorisent à emprunter ces voies pour stopper ce rouleau compresseur autour du fortuné vieillard qui mérite de jouir d’un onctueux repos. Il est un résumé d’histoires, de projections et de cycles de vie qui ont forgé son caractère et sa personnalité dans une arduité sans commune mesure.
Son parcours plaide sa cause. Sa réussite, même brimée, reste pleine d’enseignements. Les Sénégalais, toutes générations confondues, devraient avoir à cœur de s’apitoyer sur le sort de ce distingué compatriote à la posture modeste. Ils redoutent ou craignent une « confiscation du droit » qui ne dit pas son nom ! Naturellement, l’ignorance de la loi ne constitue pas une excuse. Le peuple respecte la Justice. Et les acteurs lui en savent gré.
Mais passer sa vie à hanter les couloirs des tribunaux n’est guère une vie ! Lui et les autres qui sont partie à un procès interminable ont vécu des rebondissements engendrés par une kyrielle de griefs pour affirmer ou infirmer des décisions de justice prises en première instance. Des appels ont été interjetés. De même que le réexamen en juridiction du second degré avant toute décision finale. Un gouffre sépare les protagonistes de ce procès fleuve.
Néanmoins, ces recours témoignent de la confiance dans l’équité du système. Reste à ce que la qualité des jugements consacre notre socle de valeurs humaines. A un âge si avancé, le vieux Bocar qui a la foi chevillée au corps, place son destin entre les « mains de Dieu ». En clair : advienne que pourra !
L’hypothèque placée sur ses biens immobiliers ouvre un cinglant chapitre de ce feuilleton loin de l’épilogue. Imagine-t-on un Bocar Samba Dièye délogé de ses immeubles, parce que « défait » devant les tribunaux par une armée de juristes et d’auxiliaires, tous motivés par un triomphe fugace ! Ce scénario est en marche… Il urge de stopper cette progression facétieuse.
Les robes et les toges habillent des hommes assermentés qui ont bien le cœur en place. Leur humanité reste l’unique constance en toutes circonstances. Le prévenu, sans doute, bât-il le record de longévité, a vu défiler de nombreuses figures de la justice sénégalaise. Il est témoin des passes d’armes. Au regard de leur âge, beaucoup parmi ces acteurs ont l’âge de ses enfants qui observent impuissants, l’épuisement d’un homme qui ne se reproche rien, mais s’estime grugé, preuves à l’appui…
Par Mamadou NDIAYE