L’ancien coordonnateur du Programme des Domaines agricoles communautaires (Prodac), Pape Malick Ndour, a échappé de justesse à la prison. Inculpé pour association de malfaiteurs, escroquerie sur des deniers publics et blanchiment de capitaux, il a obtenu une liberté provisoire sous bracelet électronique, malgré la requête du parquet qui réclamait un mandat de dépôt ferme. Une décision du juge d’instruction Idrissa Diarra qui met en lumière les tensions, les pressions et les non-dits d’une enquête financière aux ramifications multiples, selon L’Observateur.
Après une nuit passée dans les cellules du commissariat du Port à Dakar, Ndour a été présenté au Doyen des juges du Pool judiciaire financier pour un interrogatoire de plusieurs heures. Face au magistrat, il a livré une défense ferme et méthodique. « Je ne peux être complice de personnes avec lesquelles je n’ai jamais travaillé. J’étais au ministère des Finances quand Mamina Daffé dirigeait le Prodac. Comment pourrais-je être son complice ? », a-t-il lancé, visiblement irrité. Il a assuré n’avoir rencontré Daffé qu’à la passation de service, en 2019, et a nié tout lien avec Ibrahima Cissé, directeur de la société Tida, actuellement incarcéré dans la même affaire.
Les avocats de l’ancien ministre sont arrivés à l’audience lourdement chargés : factures, procès-verbaux, documents douaniers, correspondances administratives… Une montagne de preuves matérielles censée démontrer que les fonds du Prodac ont été utilisés conformément aux procédures. Me El Hadji Diouf, connu pour son ton sans concession, a dénoncé une « accusation incohérente » et un dossier « monté à la hâte ». « On ne peut accuser quelqu’un d’avoir détourné deux milliards et le libérer sans caution. Cela montre bien que l’accusation manque de sérieux », a-t-il fustigé.
Selon des sources judiciaires citées par L’Observateur, un rapport d’expertise comptable du cabinet ADR, dirigé par Abdoulaye Dramé, serait à l’origine de la relance du dossier. Ce rapport, commandé en janvier 2025, pointe des irrégularités estimées à 2,7 milliards de FCFA et des retenues de garantie non justifiées de 40 millions de FCFA liées au Domaine agricole communautaire (DAC) de Séfa. Ce document aurait convaincu le parquet d’étendre les poursuites à Pape Malick Ndour et à Khadim Bâ, directeur général de Locafrique.
Mais la défense dénonce un rapport « biaisé » et « incomplet », établi sans audition préalable de leur client. Elle assure qu’une simple visite de terrain aurait permis de constater la présence effective du matériel incriminé. Me Elhadj Diouf va plus loin : « Ce dossier est une opération de manipulation judiciaire. On cherche à faire porter à Pape Malick Ndour des responsabilités qu’il n’a jamais eues. »
Si le mandat de dépôt a été écarté, la décision d’imposer un bracelet électronique suscite la controverse. La mesure, jugée « disproportionnée » par la défense, doit être appliquée le lundi 10 novembre, lors d’un nouveau passage devant le juge. Les avocats de PMN entendent demander des ajustements afin qu’il puisse exercer ses fonctions de président du Conseil départemental de Guinguinéo.
Dans les coulisses, l’affaire Prodac met en lumière les rivalités politiques et administratives autour de la gestion des fonds publics destinés au développement rural. Le Prodac, lancé pour soutenir les jeunes entrepreneurs agricoles, est devenu au fil des années un foyer de soupçons, de rapports d’audit et de règlements de comptes politiques. Entre justice financière et luttes d’influence, l’enquête autour de Pape Malick Ndour illustre la complexité d’un dossier où se mêlent argent public, ambitions ministérielles et stratégies de survie politique.
Pour l’heure, l’ancien coordonnateur reste libre, mais sous surveillance électronique. Derrière cette semi-liberté, se joue l’un des épisodes les plus sensibles de la lutte anticorruption au Sénégal, où chaque pièce du dossier semble porter la marque d’une bataille bien plus large que le simple cadre judiciaire.
Emedia








