Demain se comprend aujourd’hui. Qui occulte le présent pour ne se focaliser que sur le futur se défausse d’obligations et de charges. Mieux vaut supporter le poids du devoir (moral et social) et sortir au plus vite du guêpier de l’esquive quitte à faire le dos rond !
Ainsi assumées, les responsabilités s’allègent grâce à la compréhension des citoyens qui, une fois reconvertis au réalisme, s’efforcent de dompter leurs attentes, gardant l’espoir d’être au rendez-vous des jours meilleurs. Mais des difficultés jalonnent le chemin de l’avenir.
Le savoir ou en prendre conscience ouvre des espaces de progression. Alors que s’enfermer dans des certitudes (peu partagées) éloigne des volontés en étouffant l’énergie dont elles se prévalent. Il est de notoriété qu’une crise protéiforme s’est installée au Sénégal.
Peu importe qu’elle soit d’origine politique ou économique. Elle sévit avec dureté. Le surgissement simultané des causes balaie les hypothèses quand les effets accentuent le malaise ambiant et troublent la quiétude des populations. Autant dire que les différentes facettes de cette crise attestent de sa sévérité et de l’attention ou du sérieux à lui accorder. Place au présage ? Pas du tout. Plutôt gagner en lucidité pour ordonner les urgences qui se présentent toutes en priorités.
D’une année à l’autre, l’inflation galope. Les revenus stagnent. Les ménages s’ajustent et rationnent pour survivre. D’une année à l’autre la baisse du pouvoir d’achat expulse certains du niveau de vie qu’ils avaient déjà atteint pour les reléguer plus bas. Cette «descente aux enfers» traduit, plus que tout, le mal-être de plusieurs catégories socio-professionnelles.
D’autres, cernés par des crises perlées ou répétitives jouent à cache-cache avec une conjoncture qui les terrifie. Souvent, la tristesse se lisait sur les visages quand une année s’achevait. Aussitôt l’espoir suppléait à ces avatars avec moins d’appréhension fondée sur un optimisme que charrie la nouvelle année qui s’annonce.
Nous y sommes : craintes, peurs, doutes s’emmêlent (et se télescopent) dans les esprits face à un quotidien dont la sévérité inflige aux gens des diètes dignes d’un purgatoire. Il ont recours à des expédients suivant les circonstances. Même les riches se cachent pour vivre. Heureux ? Surtout pas. Il est interdit d’afficher le bonheur ou l’aisance quand la grande masse broie du noir.
Étonnant paradoxe d’une époque qui se défigure. Les styles de vie se différencient de moins en moins puisque les besoins économiques se simplifient. Le BRT et le TER transportent tout le monde si la bourse le permet. La vie en société s’individualise même si le vivre-ensemble est prôné sans toutefois être acté de façon significative. Les nouvelles données du pouvoir d’achat structurent la conduite des citoyens des villes et des campagnes.
Sommes-nous en face d’une conscience identitaire de type nouveau ? Les groupes d’affinités émergent en plus grand nombre, preuve que les masses d’hier sont éparpillées en plusieurs entités.
Les politiques s’en aperçoivent-ils ? Il n’est pour s’en convaincre que de voir comment s’expriment ces mêmes entités en se fondant sur le droit à revendiquer : foncier, salaires, éducation, santé, sécurité, denrées. Les divergences d’opinion montrent que les masses ne sont plus homogènes.
Par conséquent, les segments qui les composent faiblissent pour s’imposer mais rendent plus complexes les identifications. Les rapports de contre-pouvoir se multiplient. Preuve que nous sommes des sociétés dites « plurielles ». Elles ne parlent plus le même langage face à un pouvoir lui-même émietté en plusieurs pôles de pouvoir qui se confrontent au gré des circonstances et des conjonctures qui se greffent à l’état du pays.
On s’aperçoit que ces groupes d’opinion s’identifient à des intérêts et se positionnent comme tels en conséquence. Ils s’expriment assez souvent et n’ont pas la même lecture des réalités. Quand des populations des banlieues se lamentent des lenteurs face aux inondations, dans les régions frontalières du Nord, les crues du fleuve soulèvent d’autres préoccupations qui exigent des réponses immédiates attendues d’un pouvoir assailli de toutes parts.
Ailleurs les questions sécuritaires, les violences urbaines, les viols et les harcèlements des femmes inquiètent au point de développer ici ou là des réflexes de survie fort compréhensibles. Il en est de même de l’accroissement des richesses, des performances économiques et de la permanence des inégalités.
Même si les revenus augmentent, qu’en penseraient les chômeurs, les désœuvrés, les handicapés et les impactés des réductions d’effectifs dans les entreprises ou les services publics ? L’absence de ruissellement signifie leur marginalisation invisible tant que de « grandes gueules » ne prennent pas le relais pour vociférer à tue-tête par des broncas.
Pour eux, la croissance ne signifie pas progrès. Ils ne la ressentent pas dans l’ordinaire de leurs vies, convaincus qu’elle ne sera jamais extraordinaire ! Les pouvoirs publics brandissent comme un trophée de guerre le cumul des emprunts dans la sous région. Ils en tirent une fierté non feinte en raison de la provenance des ressources.
A quoi servent ces liquidités qui affluent au Trésor ? Le pouvoir est très peu laconique là-dessus. Ses contempteurs pourfendent sa boulimie financière qui se traduit par une folie dépensière que récuse la situation actuelle. Ils invoquent des « destins ligotés » par un pouvoir dépourvu de cohérence.
Or la mosaïque de crises nécessite un emploi pertinent des dettes contractées. Après tout elles sont à honorer comme engagement à date échue. Et leur cumul devient le lot des générations à venir. De même que les générations actuelles sont en train de payer des emprunts ficelés par les précédents régimes.
Pourrait-on s’attendre à une improbable inversion de conjoncture ? L’épisode est certes agité et le bouillonnement de soupçons entretient un climat de tension alors que l’heure est à la résolution des urgences économiques et sociales. La politique, ce devrait être pour plus tard ! Le politique le comprend-il ? A-t-il fait tout ce qu’il pouvait afin de rassurer tous les fronts ouverts ?
N’est-il pas tôt de songer à 2029 alors que des hypothèques pèsent sur 2026 ? Il y a un temps pour tout. Nous sortons de 2025 à grand-peine. L’année est inoubliable tant elle fut constellée d’épreuves, d’obstacles et de privation sur fond d’effervescences politiques sans fin.
Pour le moment, l’urgence commande de s’attaquer aux maux qui pulvérisent une société mal préparée à affronter des défis majeurs. Les attentes sont nombreuses. Les colères sourdent. En plus elles montent. Vont-elles converger ? Il est à craindre. Surtout si l’on néglige l’équation paysanne : pas de commercialisation de l’arachide faute de financement.
Le silence des officiels épaissit l’atmosphère. La rigidité déroute les agriculteurs, obligés de brader leurs récoltes pour faire face aux besoins incompressibles : remboursement de prêts, dépenses familiales, frais de scolarité des écoliers et élans de solidarité.
De tous les acteurs, les intermédiaires portent plus de préjudices aux ruraux. Ils écument les campagnes pour sonder le moral des pays. Ils se retournent vers les opérateurs prêts à s’aligner sur les consignes émises. Le tour joué, les sangsues opèrent sans vergogne et déploient leurs ventouses. Ils excellent dans l’art délicat de sucer le sang des laboureurs sans en donner l’air… Par lâcheté. En plus, ils mettent en danger la vie de millions de gens dont la dignité se mesure aux efforts et la sueur au front.
Devons-nous nous contenter d’éprouver de la compassion pour eux ? Un suicide collectif n’est pas à écarter avec l’arachide et sa cohorte de malheurs. L’anacarde, en embuscade…!
Par Mamadou NDIAYE








