Sa nouvelle mission d’envoyé spécial des 4P (Pacte de Paris pour les Peuples et la Planète) tranche avec le contentieux écologique qu’il a laissé derrière lui. Durant son règne et après son départ du palais présidentiel, les écologistes l’attaquent sur ce terrain judiciaire. Ils réclament l’annulation du dernier décret portant déclassification de la bande des filaos et signé par l’ex Président Macky Sall. Plus de 800 hectares sont en jeu. Un dossier, pas tranché par la Cour suprême le 25 avril dernier et renvoyé pour instruction. Un deuxième du genre loin de décourager l’AJE (Association pour la Justice Environnementale). Pendant ce temps, des maraîchers de la bande redoutent l’avancée de la saignée des arbres. Face à la polémique du bradage foncier sur le littoral, le nouveau régime semble jouer les arbitres. La Direction Générale des Impôts et Domaines annonce la suspension de toutes les constructions et autorisations domaniales et foncières. Parmi les dossiers ciblés et objets du combat judiciaire de l’ AJE : le Plan d’Urbanisme de Détails Guédiawaye.
Dans la salle d’audience, l’affluence n’est pas au rendez-vous. Mais ça se sent : le poids du dossier pèse sur l’ambiance. Devant nous, face aux juges, deux membres de l’Association pour la Justice Environnementale. À l’opposé, une dame, l’Agent Judiciaire de l’Etat. Sur la table du tribunal, 4 dossiers dont celui de la déclassification de la bande de filaos de Guédiawaye. Le Président de la deuxième chambre administrative l’ouvre en premier avant de le ranger en une phrase. « Le dossier AJE / État a été retiré de l’ordre du jour pour instruction », fait savoir le magistrat sans donner plus de détails. Au sortir du temple de Thémis, une femme maraîchère, s’approche des journalistes. La dame voilée, en tenue traditionnelle, se présente comme une victime du fameux « décret ». Pendant ce temps, Mamadou Lamine Diagne, se livre à une séance de questions-réponses. «C’est la deuxième fois que le juge renvoie le dossier. Mais pour instruction cette fois-ci », explique avec un brin d’espoir le Directeur Exécutif de l’AJE. Et d’ailleurs, il ne perd pas de temps pour poursuivre le combat. L’écologiste prend la direction des filaos, en compagnie d’habitants de la zone, sur le chemin de ce qu’il qualifie de « désastre écologique ». Tous indexent des actes posés par l’ancien régime et « ouvrent la porte au bradage foncier ».
« Les décrets à l’origine de la saignée des arbres »
Cheikh Pouye semble perdu. Cet habitant de Guédiawaye, de retour de la Cour suprême, fixe du regard les travaux d’un bâtiment.
Il se dit « choqué » par le rythme à la fois de destruction et de construction sur le site près du rond-point Malibu. « Je n’ai pas les mots, c’est juste un désastre », répète le cinquantenaire qui cache sa tristesse derrière ses lunettes noires. « Petits, je jouais ici avec mes amis, nous y faisions nos feux de camp ». Mais regarde maintenant, ce qu’il est devenu », regrette avec insistance le gestionnaire en BTP. Mamadou Lamine Diagne appuie sa désolation et expose les décrets qui, selon lui, sont à l’origine de l’abattage de la bande de filaos.
D’après le directeur exécutif de l’AJE, l’ancien président de la République a pris 3 décrets principalement. D’abord « en 2018, quatre (4) hectares de la bande ont été déclassés au profit de l’Union des magistrats du Sénégal, 23 ha pour des infrastructures publiques et puis 45 hectares accordés à la communauté layenne. » Ensuite, il ajoute qu’ « entre 2021 et 2023, l’ancien locataire du palais a déclassé 150 hectares de la forêt et 826 hectares ». Mais au-delà de ses propos, témoignages, d’activiste et d’environnementaliste, nous avons jeté un regard sur le décret portant déclassification de 826 hectares et qui s’est retrouvé au tribunal. L’acte réglementaire qui date du 5 avril 2023 , a été signé par Macky Sall et co-signé par l’ex premier ministre Amadou Ba. Son article premier approuve et rend exécutoire, le Plan d’Urbanisme de détails (PUD) alors que le deuxième (article) trace les zones concernées. De la bande de Yeumbeul Nord à Tivaouane Peulh en passant par Malika. L’article 5 dudit décret livre les objectifs visés : 49, 03 du PUD réservés à l’habitat, 27, 97 aux voiries et puis 23 % aux équipements. La même source prévoit une ZAC (Zone d’Aménagement Concertée) de 44 hectares.
« Mais derrière ces chiffres, se cache la réalité sur le terrain », prévient Thaddée Adiouma Seck. Le juriste environnemental en veut pour preuve l’autre décret également contesté. Celui du 4 juin 2021 de 150, 58 hectares et qui met en exergue le Plan d’Urbanisme de détails de la bande littoral de Guédiawaye. Il estime que l’argument pour « cause d’utilité publique ne tient pas la route ». Également membre de l’AJE, le juriste constate qu’au regard des travaux menés, on ne peut pas parler d’intérêt général mais plutôt privé. Il alerte également sur le « désastre » socio-économique qui guette les maraîchers et qui gagnent encore leur vie dans la bande de Filaos.
Des maraîchers de Malika redoutent les bulldozers
A première vue, rien ne prouve qu’il y a une vie. Et pourtant sur les terres rasées de la bande, côté Malika, le contraste est saisissant. Au pied des arbres qui tiennent encore debout, le maraîchage bat son plein. Des hectares de verdure contre le désert des bulldozers. Libasse Ndiaye, fils du terroir, est en train de labourer. Au même moment, l’un de ses fils arrose un champ de maniocs. Au total, près de 4 hectares d’exploitations maraîchères. « Je préfère mourir que me faire indemniser et quitter ses terres » anticipe l’agriculteur âgé de 64 ans. La raison : tous ses enfants ont quitté l’école pour les activités agricoles. « Ils cherchent à nous chasser des lieux alors les jeunes, au lieu de prendre la mer, commencent à réussir leur vie dans l’agriculture » incompréhensible, fulmine Libasse Ndiaye. Ce sentiment d’impuissance face à la boulimie foncière est aussi ressenti par les femmes-maraîchères. Adama Ndaw, l’une d’entre elles, nous confie que son mari est à l’extérieur. Pas question de baisser les bras. Elle travaille dans le maraîchage depuis 4 ans et pour aider sa famille et son époux dans les dépenses quotidiennes. Son sort dépend en quelque sorte du combat que les écologistes mènent pour la préservation de la bande de filaos. Selon Mamadou Lamine Diagne, de Dakar à Saint-Louis « plus de 20 mille personnes s’activent dans la bande et 80% de fruits et légumes consommés dans la capitale y sont produits ». Autre désagrément. Il souligne que la plupart des travaux s’attaquent aux zones tampons, qui protègent contre l’avancée de la mer ».
La volonté du nouveau régime et les attentes des écologistes
Les nouvelles autorités du pays, visiblement veulent y voir plus clair, dans les zones minées par le conflit foncier. Sur instruction du ministre des Finances et du Budget, la Direction Générale des Impôts et Domaines a annoncé la suspension des procédures domaniales et foncières. Dans l’œil, entre autres, des plus hautes autorités du pays : le Plan d’urbanisme de détails de Guédiawaye et celui de Malika. Deux zones qui mobilisent l’Association pour la Justice Environnementale. Au-delà de cet acte, les écologistes réclament des réformes judiciaires pour la sauvegarde des sites écologiques. Pour Thaddée Adiouma Seck, la bande de filaos de Guédiawaye, est un cas d’école. Il explique en posant une question : comment l’Etat peut déclasser une bande de filaos dont l’importance n’est plus à prouver alors que le Sénégal à ratifier des conventions internationales contre la déforestation ? Sa réponse est une piste de solution. Il propose des réformes en profondeur pour renforcer la justice environnementale. Le juriste environnementaliste cite l’exemple, notamment, de l’article L.107 de l’ancien Code de l’environnement qui conditionne la saisine de la justice sur les questions environnementales à l’obtention d’un agrément délivré par le ministère de tutelle. « Un verrou à faire sauter », fustige Thaddée Adiouma Seck. Un plaidoyer si près, si loin de la Cour Suprême. Et au milieu du scénario que devrait retracer l’instruction annoncée par la haute juridiction : des filaos à terre et d’autres qui tiennent sur un bout terre entre Guédiawaye et Malika.
Pape Ibrahima NDIAYE