Un an à la tête du groupe de presse Emedia Invest, Alassane Samba Diop, a accordé une interview au quotidien « Enquête ». Une occasion pour lui de revenir sur les difficultés financières de la boîte après seulement 5 ans d’existence. Par ailleurs, il invite l’Etat a changé de paradigme en évitant de donner l’argent directement aux médias.
Cinq ans après, ce groupe que l’on croyait parmi les plus solides se retrouve dans des difficultés financières. Comment on en est arrivé-là ?
Les gens ont pensé qu’on avait énormément d’argent, parce qu’ils n’étaient pas habitués à voir cela. Pour la première fois, on lance un groupe de presse avec une télé, une radio et un site Internet en même temps. Et ensuite est venu le journal. C’est peut-être pourquoi on a pensé qu’on avait énormément d’argent. Ce qui est contraire à la vérité ; on n’avait pas beaucoup d’argent, mais on avait une force de frappe, c’est-à- dire nos carnets d’adresses, avec Boubacar Diallo, Mamoudou Ibra Kane, Mamadou Ndiaye. On s’est battu pour trouver des partenaires et lancer cette affaire. Malheureusement, notre ascension a été un peu perturbée par la Covid. Ensuite est venue la crise ukrainienne… Aujourd’hui, la guerre au Yémen qui nous impacte aussi. Nous n’avons pas été encouragés par le contexte, mais nous tenons bon. Il faut préciser que nous avons juste des retards de salaire. Il n’y a aucun arriéré. Il y a dans la presse des entreprises qui ne paient pas depuis des mois. Mais nous on essaie de se battre, bon an mal an, même si la conjoncture est difficile pour tout le monde. Mais je comprends aussi les jeunes, c’est tout à fait normal. C’est des jeunes, mais ils sont des responsables qui ont des charges et qui ont des pressions de leurs bailleurs, des familles… On comprend parfaitement parce que nous vivons avec eux. Vous me permettez de les remercier parce qu’ils sont travailleurs, ils sont professionnels et ils font des résultats. Nous pensons qu’on va travailler à trouver ensemble des solutions aux problèmes qui sont conjoncturels.
Est-ce que le départ de Mamoudou n’a pas précipité le groupe dans des difficultés ?
Mamoudou était le directeur général. Quand il a pensé faire la poli- tique, nous avons estimé que c’est incompatible. Notre concept est d’être professionnel, responsable et équilibré. Quand il a décidé de faire la politique, nous avons estimé qu’il devait aller s’occuper de son mouvement. Donc, les déclarations ou positions qu’il peut prendre n’ont rien à voir avec le groupe. Certains font l’amalgame, parfois volontairement, juste pour nous nuire. Ce que Mamoudou fait sur le plan politique ne nous engage pas. Il a décidé de se lancer en politique, nous autres membres de la rédaction avons choisi de rester journalistes. Donc, les déclarations de Mamoudou ne doivent nullement engager Emedia. Il faut vraiment insister là-dessus et faire la part des choses entre les activités de son mouvement et le groupe de presse que je dirige. Le groupe reste équilibré et donnera la parole à tout le monde.
Au-delà d’Emedia, ce que certains n’arrivent pas à comprendre, c’est pourquoi les difficultés persistent dans les entreprises de presse, malgré toutes les mannes injectées par l’État, notamment à travers l’aide à la presse et l’effacement des dettes fiscales. Où passent ces mannes ?
Moi, j’ai toujours dénoncé qu’on donne de l’argent directement aux médias. Souvent, quand on donne l’argent, ça couvre des dépenses, des dettes et d’autres charges. Je suis pour un changement de paradigme. D’abord, l’État du Sénégal doit avoir une fiscalité adaptée à la presse. Il peut jouer par exemple sur le coût des intrants, sur la dette des entreprises de presse, sur l’Ipres, la Caisse de sécurité sociale, les charges de la presse, au lieu de donner de l’argent à un patron qui peut en faire un usage non conforme. Ensuite, il faut surtout faire le nettoyage, assainir le milieu. N’importe qui peut se lever un jour et créer un journal. Ça pose problème dans un pays sérieux. L’État a failli dans son rôle de régulation. Nous sommes envahis par des gens qui n’ont rien à voir avec les médias. Il y a aussi la faillite des journalistes eux-mêmes qui n’ont pas défendu leur métier. Enfin, je pense que les journalistes et les entreprises doivent également s’adapter, en investissant davantage le digital, par exemple.