Directeur général de l’Agence nationale de l’état civil et Président du groupe des experts d’état civil de l’Afrique de l’Ouest, Aliou Ousmane Sall revient dans cet entretien sur les efforts déployés par le gouvernement pour sécuriser, moderniser et rendre davantage accessible ce secteur stratégique et crucial pour développement du Sénégal.
La situation de l’état civil est assez préoccupante avec des cas de fraude, de faux jugements, des usurpations d’identité… Pouvez-vous nous faire l’état des lieux ?
L’état civil au Sénégal connaît des difficultés qui sont en train d’être réglées par le gouvernement. C’est l’une des priorités nationales. Le ministre en charge des Collectivités territoriales, Moussa Bala Fofana, nous a instruit de procéder à l’accélération du processus de digitalisation du système d’état civil. Maintenant, il faut reconnaitre que malgré les efforts déployés par le gouvernement ces dernières années, le système souffrait encore de quelques maux, notamment les cas de fraude, avec la falsification d’actes. Cela est dû à plusieurs facteurs, notamment le manque de formation des agents d’état civil, la production de faux documents par des réseaux criminels organisés… Il y a également la fraude sur l’âge, car, souvent, certains parents demandent des jugements pour leurs enfants, non pas pour l’obtention d’un état civil, mais pour diminuer ou augmenter l’âge de l’enfant à des fins sportives, scolaires ou pour changer d’identité. Ce qui est extrêmement grave et est souvent à l’origine de beaucoup de problèmes. Il y a aussi l’usurpation d’identité qui est un phénomène de plus en plus fréquent au Sénégal. Mais il faut noter que tous ces délits sont punis par la loi car ces problèmes peuvent avoir des conséquences graves pour les individus et pour la société sénégalaise. Ils peuvent priver les individus de leurs droits fondamentaux, tels que le droit à l’identité, à l’éducation, à la santé et au travail. Ils peuvent également faciliter la criminalité et le grand banditisme, etc.
Un spot défile sur certaines chaînes de télévision concernant l’usurpation d’identité. Est- ce la réalité sur le terrain ?
L’usurpation d’identité est un problème à tous les niveaux de l’administration (état civil, identité nationale, Passeport, banques…). Il faut savoir que c’est un phénomène transfrontalier et les responsabilités sont souvent partagées car toute personne qui désire avoir un acte d’état civil doit se rendre dans un centre d’état civil et éviter les intermédiaires qui prennent position aux alentours. Sur le spot publicitaire dont vous parlez, il faut d’abord se demander s’il a pour objectif de sensibiliser les populations sur les dangers de l’usurpation d’identité. Si c’est le cas, il est important de voir si le message véhiculé est clair, précis et efficace. Et je rappelle que la sensibilisation sur l’état civil est une des prérogatives de l’Agence nationale de l’état civil. Nous n’avons pas été associés, ni informés de cette affaire, alors que nous avons travaillé sur une stratégie nationale de sensibilisation sur l’état civil avec tous les acteurs du système. Et là, on risque de se retrouver dans une situation avec des messages différents, qui vont dans tous les sens, alors que les interventions doivent être harmonisées. Il faut faire attention, l’état civil est régi par le Code de la famille et le Code des collectivités territoriales, c’est un domaine régalien de l’Etat.
Les officiers d’état civil véreux sont souvent pointés du doigt. Avez- vous eu des cas concrets portés à votre connaissance ?
Dans la plupart des cas, ce ne sont pas des officiers d’état civil, mais des fossoyeurs qui utilisent de faux cachets et élaborent des actes en toute illégalité. Nous avons des cas de signalements que nous transmettons systématiquement à la justice. En plus, tout manquement d’un officier d’état civil en service est puni par la loi. Il arrive souvent que des officiers soient traduits et jugés devant les juridictions pour des cas de fraude. Heureusement, on a des officiers et agents d’état civil qui comprennent de plus en plus la sensibilité et les enjeux de l’état civil grâce aux activités de formation et de sensibilisation organisées par l’Agence nationale de l’état civil à travers le Programme Nekkal financé par l’Union européenne. Avec ce programme, nous avons engagé un vaste chantier de digitalisation du système de l’état civil. L’année passée, des sessions de formation ont été organisées sur toute l’étendue du territoire national. Ce qui a permis de former 2 800 agents, 631 archivistes et 631 officiers d’état civil. Pour un renforcement en continu des acteurs, une plateforme d’autoformation a aussi été mise en place. A cela s’ajoute les activités d’orientations et de sensibilisation sur l’importance de l’état civil, avec des fora, des causeries et d’autres activités de communication de proximité, sans oublier les spots ou
Encore les activités d’envergure nationale comme la caravane nationale de sensibilisation sur l’état civil. Ce qui a permis de réduire sensiblement les dérives qui étaient auparavant notées dans le secteur de l’état civil.
Où en êtes-vous avec le processus de digitalisation de l’état civil censé lutter contre ces cas de fraude aussi ?
La digitalisation de l’état civil au Sénégal est un processus en cours qui vise à moderniser et à sécuriser le système d’enregistrement des naissances, des mariages et des décès. C’est dans ce cadre que, dernièrement, le ministre de tutelle, Moussa Bala Fofana, a présidé la cérémonie de réception de 1200 ordinateurs, 1000 imprimantes et des accessoires destinés à toutes les communes du Sénégal. Ce qui va permettre aux citoyens d’obtenir plus facilement et rapidement des actes d’état civil, particulièrement, pour les personnes vivant dans des zones éloignées ou les Sénégalais de l’extérieur. Il faut noter que l’ensemble des activités relatives aux traitements des données d’état civil a été encadré par une stratégie de protection des données personnelles développées avec le concours de la Commission nationale de protection des données personnelles. Aujourd’hui, plus de 19 millions d’actes d’état civil numérisés sont déjà indexés et en train d’être versés à la base de données centrale de l’état civil : le Registre national de l’état civil (Rnec). Lequel a mis en service la connexion de 234 centres d’état civil à l’Intranet gouvernemental. Quelques 255 autres centres seront aussi connectés dans les semaines à venir. Une application de gestion des faits d’état civil est aussi développée avec Gaïndé 2000 et son déploiement est en cours dans les communes. A ce jour, l’application de gestion de l’état civil est déployée dans plus de 145 centres et 700 agents et officiers d’état civil ont déjà été formés sur ses différentes fonctionnalités. Ce système d’état civil numérique permettra de mieux lutter contre la fraude documentaire et la corruption. Ainsi, les actes d’état civil seront plus sécurisés et impossibles à falsifier. Mieux, on pourra faire la traçabilité des actes et situer les responsabilités dans tout le processus. Et avec cela, les faussaires et les réseaux criminels organisés vont forcément disparaitre. D’ ailleurs, c’est ce qui explique les attaques que nous subissons tous les jours.
Ndèye Anna NDIAYE