C’est un désastre qui se déroule loin des caméras et des discours officiels, mais qui pourrait coûter cher à l’ambition du Sénégal de garantir sa souveraineté alimentaire. Dans le bassin rizicole de l’Anambé, situé dans la région de Kolda, la campagne agricole 2025 vire au cauchemar pour les producteurs, victimes d’un excès pluviométrique sans précédent. Alors que l’hivernage avait commencé plus tôt que d’habitude, laissant présager une saison prometteuse, les espoirs se sont rapidement transformés en désillusion.
Entre mai et juillet, les relevés pluviométriques effectués autour du périmètre aménagé et des barrages ont enregistré des cumuls oscillant entre 363,3 mm et 545,5 mm, contre seulement 133 à 325,9 mm sur la même période en 2024. Une situation excédentaire qui s’est encore aggravée au cours de la seconde quinzaine d’août, coïncidant avec la période cruciale des semis.
Les pluies torrentielles ont complètement saturé le réseau d’écoulement du périmètre. Les rigoles tertiaires et secondaires, déjà obstruées par la végétation et le sable, n’ont pas résisté à la pression. L’absence d’entretien des caniveaux et le manque d’investissements dans le système de pompage ont fini d’enclencher une spirale de blocages techniques. Résultat : dans plusieurs zones du périmètre, il n’était tout simplement plus possible de labourer les sols.
Sur une cible initiale de 4 530 hectares à emblaver cette année, seuls 1 846,95 hectares ont pu être effectivement semés ou mis en culture, soit un taux de réalisation de 40,77 %. Le déficit de production est alarmant : 2 683,05 hectares n’ont pas pu être exploités. Un écart lourd de conséquences, qui compromet gravement les efforts du pays pour atteindre l’autosuffisance en riz.
Depuis des années, le Sénégal multiplie les politiques pour renforcer sa souveraineté alimentaire. Le riz, aliment de base pour des millions de ménages, est au cœur de ces efforts. Mais entre les aléas climatiques, le manque d’infrastructures résilientes et une gestion parfois défaillante, les objectifs sont systématiquement repoussés. Le bassin de l’Anambé, avec ses 16 000 hectares de potentiel agricole, était censé incarner cet espoir renouvelé porté par les nouvelles autorités.
Mais aujourd’hui, c’est un silence gênant qui entoure ce qui s’apparente à une véritable catastrophe agricole. Ni la direction de la SODAGRI ni le ministère de l’Agriculture n’ont communiqué officiellement sur la situation. Pourtant, sur le terrain, la détresse des producteurs est palpable, et les conséquences économiques à venir risquent d’être lourdes.
Alors que le projet de souveraineté alimentaire reste un pilier du discours gouvernemental, le silence autour de la crise de l’Anambé interroge. Car pour atteindre cet objectif stratégique, encore faut-il affronter la réalité du terrain. Même lorsqu’elle dérange.
Seydou Diatta, Emedia Kolda