Un naufrage institutionnel en pleine crise routière
Moins de deux ans. C’est le temps qu’il aura fallu à Atoumane Sy pour transformer l’Agence Nationale de la Sécurité Routière (ANASER) en un champ de ruines managérial. Alors que les routes sénégalaises n’ont jamais été aussi meurtrières, le Directeur Général semble avoir choisi une tout autre bataille : celle de la destruction méthodique de son propre service. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Depuis le début de l’année, les accidents mortels se multiplient à un rythme alarmant. Chaque semaine, des familles pleurent leurs morts. Chaque jour, des blessés graves sont abandonnés à leur sort, sans suivi, sans assistance, sans la moindre trace de cette agence censée veiller sur eux. Pendant ce temps, à la tête de l’ANASER, un homme s’enferre dans une gestion chaotique et impulsive qui laisse pantois jusqu’aux plus indulgents de ses collaborateurs.
De la sensibilisation à l’effondrement
Sous la direction de son prédécesseur, l’ANASER incarnait une certaine excellence : campagnes percutantes, partenariats solides avec les collectivités locales, déploiement territorial ambitieux. L’institution était visible, active, respectée. Aujourd’hui, elle est devenue invisible. Pire : elle est devenue toxique.
Car ce n’est pas seulement l’action publique qui s’est effondrée sous Atoumane Sy. C’est toute la structure humaine de l’agence qui vacille. Nos sources, concordantes et crédibles, dressent le portrait d’un management brutal, imprévisible, parfois vindicatif. Licenciements sans motif valable, rétrogradations arbitraires, mise au placard de cadres compétents dont le seul tort aura été d’exprimer un désaccord ou de rappeler les règles élémentaires de gestion.
Un climat de terreur administrative
« Il règne par l’intimidation », confie un cadre sous couvert d’anonymat. « On ne sait jamais Mais ce qui frappe le plus dans les témoignages recueillis, c’est la violence du climat instauré par le Directeur Général. Violence verbale d’abord, avec des menaces proférées sans retenue. Violence d’intimidation ensuite, qui transforme chaque réunion en épreuve de force. « Il ne maîtrise pas ses prérogatives, alors il compense par l’intimidation administrative et physique », confie un agent sous couvert d’anonymat. « On a l’impression qu’il confond l’ANASER avec un ring de boxe. Son physique imposant, il a menacer et brutalisé un Assistante sans défense pour arracher les clé de son bureau. » Plusieurs témoignages concordants décrivent un homme qui, face à la contestation ou à la simple remise en question de ses décisions, adopte une posture d’agressivité. Des éclats de voix injustifiés, des gestes brusques, une proximité physique volontairement oppressante lors des échanges tendus. Autant de comportements qui n’ont rien à faire dans un bureau de direction, mais qui semblent être devenus la norme sous son règne. Le résultat ? Un exode discret mais massif des compétences. Plusieurs agents expérimentés ont préféré partir, épuisés par un environnement de travail devenu irrespirable. D’autres attendent, résignés, en priant pour que l’orage passe. Certains, plus combatifs, ont porté plainte devant le tribunal du travail. Des dossiers ont été transmis au ministère de tutelle. Le Conseil de surveillance, lui-même, aurait reçu plusieurs rapports accablants.
Condamné par la justice, mais toujours en poste
Mais il y a plus grave encore. Notre enquête révèle qu’Atoumane Sy a été condamné par le Tribunal du Travail dans une affaire qui illustre parfaitement son mode opératoire : promettre, signer, puis se dédire. Les faits sont édifiants. Le Directeur Général avait lui-même proposé à un agent de l’ANASER un départ négocié, assorti d’engagements financiers précis. L’agent, de bonne foi, a signé l’accord et quitté l’agence. Mais une fois le départ acté, Atoumane Sy a décidé unilatéralement de ne plus honorer les termes du contrat qu’il avait pourtant paraphé. Une volte-face qui a contraint l’ancien agent à saisir la justice.
Le tribunal lui a donné raison. Atoumane Sy a été condamné. Pourtant, il reste en fonction, comme si cette condamnation n’était qu’un détail administratif sans conséquence. Comme si trahir sa parole, violer un accord signé et perdre devant la justice du travail n’était pas de nature à disqualifier un dirigeant d’une institution publique.
Un précédent dangereux, un schéma qui se répète
Cette affaire n’est malheureusement pas isolée. Selon plusieurs sources internes, ce mode opératoire — proposer des départs négociés avant de se rétracter sur les compensations — serait en passe de se reproduire. D’autres agents, actuellement en conflit avec la direction, craignent de subir le même sort. Certains hésitent désormais à signer quoi que ce soit, de peur de se retrouver floués une fois la porte franchie.
« On ne peut plus lui faire confiance », lâche un agent qui préfère rester anonyme. « Il engage l’agence, il signe des documents officiels, et puis il décide seul de ne plus respecter ses engagements. C’est une rupture totale du lien de confiance, et c’est la réputation de toute l’institution qui en pâtit. »
Si cette pratique devait se généraliser, c’est toute la crédibilité de l’ANASER qui serait définitivement entachée. Qui voudra encore travailler dans une structure où la parole du dirigeant ne vaut rien ? Qui acceptera de négocier avec un homme condamné pour parjure contractuel ?
Redressement ou dérive clanique ? Six membres de sa famille recrutés
L’incohérence atteint son paroxysme avec une révélation qui achève de discréditer le Directeur Général : après avoir défendu un plan de redressement justifié par la nécessité de réduire les effectifs et d’assainir les finances de l’agence, Atoumane Sy s’est lancé dans une vague de recrutements pour le moins suspecte.
Selon des informations recoupées auprès de plusieurs sources internes, pas moins de six membres de sa propre famille auraient été parachutés à des postes clés au sein de l’ANASER. Des recrutements opaques, sans appel à candidatures transparent, sans processus de sélection visible, et surtout, en totale contradiction avec le discours de rigueur budgétaire brandi quelques mois plus tôt.
« On nous demande de faire des économies, on licencie des agents compétents sous prétexte de rationalisation, et pendant ce temps, il installe sa famille », s’insurge un cadre de l’agence. « C’est du népotisme pur et simple. Et le pire, c’est que personne ne semble capable de l’arrêter. »
Ce recrutement clanique soulève de nombreuses questions : qui a validé ces nominations ? Sur quels critères ont-elles été décidées ? Comment justifier de nouveaux recrutements après avoir plaidé pour une réduction d’effectifs ? Et surtout, comment peut-on diriger une agence publique en la transformant en entreprise familiale ?
Une gouvernance à l’agonie
Ce qui se joue à l’ANASER dépasse désormais le simple dysfonctionnement administratif. C’est un système de gouvernance tout entier qui est en train de s’effondrer sous les coups d’un homme qui cumule les casquettes : directeur autocrate, condamné par la justice, et désormais recruteur familial.
L’agence, censée incarner la rigueur et l’exemplarité dans la gestion de la sécurité routière, est devenue le théâtre d’une dérive clanique et managériale qui rappelle les pires travers de l’administration publique. Pendant que des compétences avérées sont écartées, humiliées ou poussées vers la sortie, des proches sans légitimité apparente sont propulsés à des postes stratégiques.
Impulsif, isolé, dépassé
Atoumane Sy se révèle être ce que les spécialistes du management redoutent le plus : un dirigeant impulsif à un poste stratégique. Incapable d’anticipation, dépourvu de vision à moyen terme, il semble naviguer à vue, réagissant plus qu’il n’agit, punissant plus qu’il ne motive. Son incapacité à fédérer, à écouter, à déléguer, fait de lui un obstacle plutôt qu’un moteur. Dans les couloirs de l’ANASER, on ne parle plus de projets, mais de survie. On ne parle plus de sécurité routière, mais de sécurité de l’emploi. Pendant ce temps, à l’extérieur, les Sénégalais continuent de mourir sur des routes que personne ne semble plus vouloir sécuriser.
Une responsabilité qui engage l’État
Cette dérive n’est pas qu’une affaire interne. Elle engage la responsabilité de l’État. Qu’un Directeur Général condamné par la justice puisse continuer à exercer ses fonctions pose une question de principe : quelle exemplarité exige-t-on encore des cadres de la fonction publique ?
Qu’un dirigeant transforme une agence stratégique en fief familial sans que personne ne réagisse interroge sur les mécanismes de contrôle et de surveillance censés protéger les institutions.
Car tant qu’Atoumane Sy restera aux commandes, l’ANASER continuera de perdre en crédibilité, en efficacité, et surtout en légitimité. Et pendant ce temps, combien de vies auraient pu être sauvées ? Combien d’agents compétents auront été poussés vers la sortie pour faire place à des recrutements de complaisance ? Combien d’accords bafoués, de procédures détournées, de décisions arbitraires faudra-t-il encore pour que les autorités de tutelle interviennent ?
La question n’est plus de savoir si Atoumane Sy doit partir. Elle est de savoir pourquoi il est encore là. Et surtout, combien de temps encore l’État tolérera qu’un homme condamné par la justice, adepte du népotisme et incapable de piloter une politique publique cohérente, dirige une agence censée incarner la rigueur, la responsabilité et la protection des citoyens.
Le Sénégal mérite mieux. Les agents de l’ANASER méritent mieux. Et surtout, les usagers de la route, ceux qui meurent chaque jour dans l’indifférence, méritent infiniment mieux.
 
  
  
  
 









