La campagne de commercialisation de la noix de cajou s’ouvre cette année dans un climat d’inquiétude profonde. Boubacar Konta, président de l’Interprofession Cajou du Sénégal (ICAS), dénonce une absence totale d’accompagnement de l’État, laissant les acteurs livrés à eux-mêmes dans un contexte marqué par l’insécurité, la chute des prix et l’effondrement du tissu industriel local. Un récent braquage subi par des collecteurs de noix en brousse vient illustrer la gravité de la situation. Pour Boubacar Konta, cet incident dramatique est le résultat direct de la défaillance des autorités. « Cette année, c’est comme si la filière avait été abandonnée. Aucun Comité régional de développement (CRD) n’a été tenu pour encadrer la campagne. Les forces de l’ordre ne disposent d’aucune directive pour assurer la sécurité des collecteurs sur le terrain », déplore-t-il.
L’absence de lancement officiel de la campagne par le ministère du Commerce et de l’Industrie, habituellement un moment structurant pour la filière, accentue le flou. Les acteurs se retrouvent ainsi sans repères, opérant dans un vide institutionnel total. Konta rappelle que des propositions concrètes avaient pourtant été faites dès l’année dernière, comme l’instauration d’un système d’agrément pour identifier les collecteurs, grossistes et exportateurs. Ce dispositif visait à assainir la filière et à renforcer la sécurité. Malgré l’investissement de plus de 20 millions FCFA par l’ICAS pour la mise en œuvre de ces mesures, les dossiers dorment toujours au ministère concerné.
La filière cajou représente pourtant une manne économique majeure pour le Sénégal, notamment en Casamance, avec plus de 38 000 familles qui en dépendent et plus de 87 milliards FCFA d’exportations enregistrés sur la période 2023-2024. Mais selon Konta, elle est aujourd’hui au bord du gouffre. Les transformateurs locaux sont en détresse : plus de 11 unités ont fermé l’année dernière, occasionnant la perte de 3000 emplois. « Ni la transformation locale ni la production ne sont soutenues. C’est le chaos total », dit-il. Il en appelle à une réaction urgente du Premier ministre Ousmane Sonko, originaire de la région et qui, lors d’un Conseil interministériel, avait pourtant promis un appui structurant à la filière.
Sur le terrain, la situation est critique. À Ziguinchor, les prix ont chuté brutalement. De 800 FCFA le kilo il y a encore une semaine, le prix est passé à 600 FCFA. De nombreux collecteurs, qui avaient contracté des prêts bancaires, se retrouvent dans une impasse financière. Certains sont contraints de stocker leurs produits dans des camions circulant en ville sans trouver preneur. D’autres ont déjà essuyé des pertes de plusieurs millions. Konta accuse des entreprises étrangères, notamment indiennes, de manipuler le marché grâce à leur accès exclusif au financement. « Depuis lundi, ils ont imposé une baisse des prix sans aucune explication rationnelle. »
Pour lui, seule une intervention rapide et coordonnée de l’État peut sauver la campagne en cours. Il appelle à une régulation urgente de l’exportation, un soutien renforcé à la transformation locale, et un accès facilité au financement. À défaut, dit-il, la filière risque un effondrement à grande échelle, avec des conséquences économiques et sociales désastreuses pour toute la Casamance.
Emedia